Le tabou
Les chiffres ne disent pas nécessairement tout, mais ils sont souvent éclairants. Si la proportion des étudiants qui fréquentent les universités francophones et anglophones était la même qu’au niveau primaire et secondaire, il y aurait 37 000 étudiants de plus que maintenant dans les universités francophones, qui bénéficieraient d’un financement supplémentaire d’un milliard.
À une semaine du Sommet sur l’enseignement supérieur, le chef d’Option nationale, Jean-Martin Aussant, et son ancien collègue péquiste Pierre Curzi ont jugé utile de rappeler une réalité qui constitue un véritable tabou : les universités anglophones, McGill en particulier, reçoivent la part du lion, alors qu’elles forment à nos frais des étudiants dont une grande partie s’empresseront de quitter le Québec sitôt leur diplôme en poche.
Le refrain n’est pas nouveau. Quand le projet de mégahôpital du CHUM a été lancé, plusieurs ont vainement contesté la nécessité d’en construire un autre pour la communauté anglophone, dont l’importance démographique ne semblait pas justifier un tel investissement dans une ville de la taille de Montréal. À McGill, la moitié des étudiants proviennent de l’extérieur du Québec.
Bien entendu, personne n’osera poser le problème dans ces termes au Sommet. Surtout pas le ministre Pierre Duchesne, qui serait accusé de laisser libre cours à une anglophobie dont le PQ est toujours soupçonné, comme l’illustrent bien les résultats du sondage EKOS Research publiés lundi.
Déjà, 84 % des Anglo-Québécois estiment que le gouvernement Marois n’attend qu’une majorité à l’Assemblée nationale pour restreindre encore davantage leurs droits linguistiques, au point que 42 % d’entre eux disent avoir envisagé de quitter le Québec après l’élection du 4 septembre dernier. Le moins que l’on puisse dire, c’est que Jean-François Lisée n’est pas au bout de ses peines.
Tout le monde convient que les universités anglophones sont d’une grande qualité et doivent le demeurer, mais est-il équitable qu’elles accaparent 25 % des effectifs et près de 30 % de tout le financement universitaire, alors que la communauté anglophone représente seulement 8,3 % de la population ?
Leur succès s’apparente à celui de la saucisse Hygrade. Elles sont mieux financées parce qu’elles attirent plus d’étudiants et elles attirent plus d’étudiants parce qu’elles sont mieux financées, ce qui permet d’embaucher plus de professeurs, dans des disciplines mieux subventionnées, qui reçoivent aussi plus de budgets de recherche…
En 2008-2009, les universités anglophones ont obtenu 36 % des budgets de recherche accordés par les organismes fédéraux, qui en accordent trois fois plus que leurs équivalents québécois. À elle seule, McGill a également reçu 43 %, soit 96,4 millions, des dons faits aux universités québécoises par des organismes à but non lucratif ou des entreprises privées.
Un rééquilibrage constitue cependant une opération délicate dans un contexte de ressources limitées. On aura beau dire qu’il ne s’agit pas de financer moins les institutions anglophones, mais plutôt de mieux financer les institutions francophones, cela signifie inévitablement un transfert des unes vers les autres.
C’est la même chose pour l’affichage : augmenter la place du français, que ce soit en imposant l’unilinguisme ou en appliquant la règle de la « nette prédominance », implique de diminuer celle de l’anglais. On ne fait malheureusement pas d’omelette sans casser d’oeufs.
Même si le PQ semble avoir définitivement renoncé à étendre au niveau collégial les dispositions de la loi 101 qui régissent l’accès à l’école primaire et secondaire, ce qui aurait réduit la fréquentation des universités anglophones par des résidents québécois francophones et allophones, il serait possible de les rendre moins attrayantes pour les étudiants étrangers ou canadiens non résidents du Québec, mais inclure un facteur linguistique dans le calcul des subventions est impensable.
Adopter le critère dit de « première génération », qui consiste à adapter le financement des universités en fonction de la proportion d’étudiants dont les parents n’ont jamais fait d’études universitaires, aurait toutefois le même effet, tout en favorisant l’accessibilité.
Sans surprise, c’est dans les composantes de l’Université du Québec qu’on retrouve les plus hauts taux d’étudiants de « première génération ». À Chicoutimi, en Abitibi et à Rimouski, il dépasse les 70 %. À Montréal et Laval, il est de 49,5 %. Pour l’ensemble des universités anglophones, la moyenne est de seulement 35,8 %. À McGill, le chiffre est de 20 %.
La principale de McGill, Heather Munroe-Blum, criera sans doute à la « farce » si le gouvernement retient ce critère, mais la situation actuelle n’a vraiment rien de drôle.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.