L’université juste selon Michel Seymour

Philosophe estimé, professeur à l’Université de Montréal, Michel Seymour participe activement au débat public depuis plusieurs années. Auteur de solides essais en faveur de la souveraineté du Québec (La nation en question, L’Hexagone, 1999, et Le pari de la démesure. L’intransigeance canadienne face au Québec, L’Hexagone, 2001), il s’est engagé, en 2012, dans la lutte contre la hausse des droits de scolarité universitaires décrétée par le gouvernement du Parti libéral du Québec.
Dans Une idée de l’université. Propositions d’un professeur militant, un ouvrage dédicacé à « Martine, Léo, Gabriel et [aux] autres », Michel Seymour revient sur le débat concernant l’avenir de l’université au Québec et sur la question de l’accessibilité aux études supérieures. Présentée comme une contribution philosophique, engagée et partisane au débat, cette réflexion poursuit essentiellement deux objectifs : montrer que la gratuité scolaire à l’université est un idéal de justice à réaliser et dénoncer « la transformation progressive de l’université selon un modèle d’entreprise ».
Très sévère à l’endroit du discours des recteurs québécois et de celui du gouvernement libéral de Jean Charest, Seymour livre ici un solide plaidoyer pour une université conçue « comme une institution au service du bien commun en ce qu’elle incarne l’égalité des chances, transmet la culture, est au service de la collectivité par le développement d’expertises diverses et joue un rôle crucial dans le développement de l’économie nationale ».
Penser la justice avec Rawls
Pour fonder son point de vue, Seymour a recours aux thèses du célèbre philosophe américain John Rawls (1921-2002), auteur d’un ouvrage, Théorie de la justice, publié en anglais en 1971 et traduit en français en 1987, qui « a transformé de fond en comble la philosophie politique au XXe siècle ». Refusant, comme le rappelle Christian Godin dans La philosophie pour les nuls (First, 2006), de sacrifier le collectif à l’individu ou l’individu au collectif, Rawls propose une théorie du contrat social qui cherche à « concilier la liberté individuelle et la justice sociale ». On pourrait résumer sa pensée en écrivant qu’il veut fonder philosophiquement la social-démocratie.
Une société juste, pour Rawls, doit respecter deux principes de liberté : les libertés de base (d’expression, d’association, de conscience) et les libertés politiques (droit de vote, par exemple). À cela s’ajoutent trois autres principes. Un premier, antérieur à tous les autres, peut être désigné, selon les mots de Seymour, par les termes « principe du strict minimum » et concerne les besoins de base (nourriture, logis, besoins affectifs). Les deux autres sont liés à la notion d’égalité.
Le principe de différence admet la légitimité de certaines inégalités socioéconomiques « seulement si, par l’existence même de ces inégalités, on s’assure d’une plus grande richesse produite et pouvant être redistribuée », explique Seymour. Le principe de juste égalité des chances, quant à lui, signifie, selon les mots de Rawls, que « les chances d’acquérir de la culture et des compétences techniques ne devraient pas dépendre de notre situation de classe, et ainsi le système scolaire, qu’il soit public ou privé, devrait être conçu de manière à aplanir les barrières de classe ».
Pour que ce principe de juste égalité des chances en éducation soit effectif, six éléments doivent être mis en oeuvre : égalité de statut entre les étudiants, égalité de traitement (financement équitable par l’État), obligation d’un seuil minimal de financement, politiques contre la discrimination des moins fortunés, évaluation selon le mérite et davantage de ressources accordées aux plus démunis.
Justice et financement
« L’université, écrit Seymour, fait partie intégrante du système d’éducation », permet l’accès à la culture à laquelle tous ont droit et l’accès à certains emplois qui exigent des diplômes d’études supérieures, joue un rôle économique important et est un service public en ce que les gens qu’elle forme contribuent au bien commun. Pour toutes ces raisons, le principe de juste égalité des chances doit y être appliqué.
Or, des droits de scolarité élevés sont incompatibles avec ce principe, notamment parce que « le coût des droits de scolarité dissuade plus les pauvres que les riches de faire des études postsecondaires ». Même assortis de généreux programmes de prêts (qui alourdissent l’endettement des plus pauvres) ou modulés en fonction des coûts des divers programmes et accompagnés d’un régime de remboursement proportionnel au revenu (une des pires solutions en ce qu’elle réserve les programmes les plus coûteux et les plus prestigieux aux plus riches, alors que le principe d’un impôt progressif est plus simple et plus juste), des droits de scolarité élevés ne sont pas défendables dans une perspective de justice sociale rawlsienne. À ceux qui prétendent que la plus faible fréquentation universitaire des plus pauvres s’explique plus par des blocages culturels que par le coût des études, Seymour réplique que «l'échec de l'application de la juste égalité des chances au primaire et au secondaire ne peut être invoqué pour rejeter son application au collège et à l'université.»
Les universités québécoises, de plus, ne sont pas tant sous-financées que mal financées, principalement à cause du fait que « l’argent destiné au fonctionnement de base de l’éducation postsecondaire a été détourné par le gouvernement fédéral à des fins politiques », ce qui a pour résultat qu’« on abandonne l’« alimentaire », à savoir les besoins concernant l’éducation de base, au profit des besoins moins urgents ».
Plus encore, nos universités, montre Seymour, sont mal gérées : salaires exorbitants des dirigeants, délirante course à la clientèle, dérives immobilières (îlot Voyageur, gare de triage d’Outremont). Ce modèle entrepreneurial, qui transforme les universités en usines à diplômes et les étudiants en investisseurs en quête de rentabilité, trahit l’idée d’une université au service du bien commun.
Des solutions
Certains secteurs universitaires, reconnaît Seymour, sont sous-financés. « Les universités, écrit-il, doivent rétablir le ratio étudiants-professeurs, assumer le financement des étudiants au doctorat, disposer des ressources suffisantes en frais indirects de recherche, rénover des bâtiments vétustes et résoudre leurs problèmes d’espace. » Le respect du principe de juste égalité des chances exige toutefois de ne pas se tourner vers les étudiants pour corriger ce problème.
Dans un esprit de justice, encore une fois, et en appliquant cette fois-ci le principe de différence, Seymour, partisan du gel des droits de scolarité dans le but de s’approcher de l’idéal de la gratuité, suggère des solutions : rétablissement des transferts fédéraux aux provinces en matière d’éducation supérieure, nouveaux paliers d’imposition, lutte contre l’évasion fiscale (l’éléphant dans la pièce), hausse des redevances minières et meilleure gestion des universités.
Philosophe aux idées claires et tempérées, Michel Seymour n’en reste pas moins un penseur engagé capable d’une saine colère devant les ennemis de la justice.
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Collaborateur