La bataille de l’assurance-emploi
Jusqu’à cet hiver, le gouvernement de Jean Chrétien avait été le dernier à soumettre le programme d’assurance-emploi à un régime-minceur. Dans le cadre de la poursuite du déficit zéro pendant les années 90, il avait donné un sérieux coup de barre au régime.
Sur le plan politique, les comparaisons entre la réforme libérale et les changements instaurés par le gouvernement Harper s’arrêtent là. La bataille libérale de l’assurance-emploi avait tous les attributs d’une guerre de tranchées alors que l’offensive conservatrice s’apparente à une attaque de missiles télécommandée.
Pour saisir la dynamique politique différente qui sous-tend le plus récent épisode du débat sur l’assurance-emploi, il est instructif de superposer une carte électorale du Canada sur celle des points chauds du travail saisonnier.
Je m’étais livrée à l’exercice pour une chronique post-budgétaire dans le Toronto Star le printemps dernier. Il est encore plus pertinent aujourd’hui. Au total, il s’en dégage le portrait d’un gouvernement fédéral qui serre la vis aux travailleurs saisonniers à bonne distance du front de la bataille, derrière de solides (et lointains) remparts banlieusards.
À quelques rares exceptions près (comme la circonscription néo-brunswickoise du ministre Bernard Valcourt), les endroits les plus durement frappés par la réforme conservatrice sont situés en territoire occupé par les partis d’opposition - des comtés où les conservateurs sont plus rarement dans la course.
Au Québec, les rares sièges conservateurs sont majoritairement situés dans des régions dont le taux de chômage est atypique. La circonscription de Beauce, représentée aux Communes par le ministre Maxime Bernier, affiche régulièrement un taux de chômage nettement moins élevé que la moyenne provinciale. Idem pour ce qui est des deux circonscriptions détenues par les conservateurs dans la région de Québec.
Dans les Maritimes, les circonscriptions les moins prospères de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont tendance à être représentées par des néodémocrates ou des libéraux, et les conservateurs détiennent seulement deux des 11 sièges de Terre-Neuve-et-Labrador et de l’Île-du-Prince-Édouard.
En Ontario, le nord de la province (moins Thunder Bay et Sudbury qui s’en tirent mieux que la moyenne) est le front chaud du chômage saisonnier. La région est dominée par le NPD, lequel représente également les deux circonscriptions de Windsor qui sont les plus rapprochées de l’épicentre de l’industrie automobile.
Au Manitoba et en Colombie-Britannique, le cycle saisonnier est plus prévalent que la moyenne provinciale dans les comtés plus nordiques que représente le NPD.
Il y a vingt ans, le PLC avait payé le prix fort pour sa réforme de l’assurance-emploi aux élections suivantes. Certains des dommages collatéraux subis par le parti à l’époque persistent encore aujourd’hui.
Au scrutin fédéral de 1997, la réforme a coûté à Jean Chrétien la plupart des 19 sièges qu’il a perdus. C’est sur le dos de la politique libérale sur l’assurance-emploi que le NPD fédéral a fait son entrée dans l’est du Canada.
Par comparaison, les risques politiques auxquels s’expose Stephen Harper sont presque nuls. L’idée que l’assurance-emploi est un sujet fédéral brûlant au Canada est une illusion d’optique imputable à la proximité relative de régions particulièrement touchées par la réforme.
À l’ouest du Québec, les mesures conservatrices ne font pas beaucoup de vagues. D’ailleurs, on ne peut pas non plus dire qu’elles suscitent une grande mobilisation populaire dans la région montréalaise.
Aux élections fédérales de 2015, la partie va beaucoup se jouer dans la trentaine de nouvelles circonscriptions urbaines. La plupart du temps, elles résultent d’un redécoupage de circonscriptions actuellement détenues par les conservateurs. Aucune d’entre elles n’est située dans une région où le chômage saisonnier est chose courante.
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L’absence de proximité politique entre le gouvernement conservateur et les régions les plus touchées par la réforme explique largement l’échec de l’opposition à en faire un véritable enjeu.
Car nonobstant une certaine légende urbaine médiatique, néodémocrates et libéraux n’ont pas manqué de monter au front de la défense des travailleurs saisonniers aux Communes l’automne dernier. En onze semaines de session parlementaire entre septembre et décembre, ils sont revenus à la charge plus d’une cinquantaine de fois. À l’époque, le Québec avait les yeux rivés sur le gouvernement Marois et la commission Charbonneau.
Dans la chronique du printemps dernier, je concluais qu’à moins de convaincre l’opinion publique que la réforme s’inscrivait dans une offensive conservatrice en règle pour défaire les mailles du filet de sécurité sociale canadien, la bataille de l’opposition était perdue d’avance.
Neuf mois plus tard, on peut constater que les mesures conservatrices suscitent encore moins de remous à l’échelle pancanadienne que la réforme libérale des années 90. Entre les deux, les régions les plus dépendantes de l’assurance-emploi ont perdu beaucoup d’ascendant politique.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.