Ce n’est qu’un premier pas

Vendredi, le premier ministre Stephen Harper rencontrera les chefs des Premières Nations pour discuter, dit-il, des « relations fondées sur les traités et les droits des peuples autochtones » et de « développement économique ».

Malgré ce pas dans la bonne direction, la chef d’Attawapiskat, Theresa Spence, refuse d’interrompre la grève de la faim qu’elle poursuit depuis le 11 décembre dans le but d’obtenir une rencontre au sommet. Elle attendra, dit-elle, d’en voir les résultats. Elle veut l’assurance que cette réunion ne sera qu’un début.


La méfiance exprimée par Mme Spence est largement partagée par une grande majorité d’autochtones, comme l’a démontré le mouvement Idle No More. Et cette méfiance ne date pas d’hier, le bilan du gouvernement Harper en matière d’affaires autochtones étant très mitigé. Dès son élection en 2006, il a mis sur la glace l’accord de Kelowna conclu entre le fédéral, les provinces et les autochtones, qui était l’aboutissement de 18 mois de négociations. Il a aussi dû se faire tirer l’oreille pour appuyer la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.


Il a en revanche revu en profondeur le processus d’examen des revendications particulières afin d’en accélérer la résolution, ce que demandaient les leaders autochtones depuis des décennies. En 2008, il a offert aux anciens élèves des pensionnats autochtones victimes de sévices les excuses historiques qu’ils attendaient depuis des années. Puis, l’an dernier, le premier ministre Harper acceptait de tenir, pour la première fois en six ans, une rencontre avec l’Assemblée des Premières Nations (APN).


« Pour opérer un changement fondamental, avait alors déclaré le premier ministre, il nous faut redoubler d’efforts, en collaboration avec les Premières Nations, afin d’élaborer les éléments sur lesquels reposera notre nouvelle relation. »


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Mais trois mois plus tard, le projet de loi C-38 prévoyait maintes mesures affectant les autochtones, dont le nouveau processus d’évaluation environnementale et les amendements à la Loi sur la gestion des terres des Premières Nations. À l’automne, c’était au tour du projet de loi C-45 de mettre fin à la protection de centaines de lacs et de rivières et de modifier les dispositions de la Loi sur les Indiens touchant la désignation de terres autochtones. Tout ça de façon unilatérale.


Le gouvernement conservateur n’a pas tout faux dans le dossier autochtone et le principe de certaines de ses mesures, comme celles en matière de reddition de comptes et de partage des biens matrimoniaux, a l’appui de plusieurs autochtones. Mais qu’elles plaisent ou non en principe, les initiatives du gouvernement ont presque toutes en commun d’avoir été concoctées en vase clos, sans réelle consultation avec les Premières Nations qui en ont assez d’être traitées en mineures à qui l’on dicte leur conduite.


Comme le disait le grand chef de l’APN, Shawn Atleo, dans un discours prononcé en octobre, « les Premières Nations veulent être des partenaires à part entière dans la définition de leur avenir collectif ».


Elles en ont assez l’unilatéralisme, et c’est ce ras-le-bol qui a servi de bougie d’allumage au mouvement Idle No More. Lancé cet automne par quelques femmes autochtones de la Saskatchewan, ce mouvement de la base s’est répandu comme une traînée de poudre. On dira que c’est grâce aux médias sociaux, mais c’est aussi parce que le terrain était très fertile. La mobilisation, portée par un mécontentement profond, risque fort de se poursuivre au-delà de vendredi ou de la fin de la grève de la faim de la chef Spence, car elle vise autant l’attitude du gouvernement que celle jugée trop timorée de certains chefs.


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Mais ce désir de changement pose un défi aux autochtones eux-mêmes, celui de l’unité et de l’expression de demandes intelligibles. Les idées ne manquent pas, mais comme le reconnaissait le chef Atleo cet automne, les communautés doivent, à l’échelle locale et nationale, énoncer une vision claire de leur avenir, identifier leurs priorités et suggérer des propositions concrètes et cohérentes pour les mettre en oeuvre.


Les enjeux sont complexes et nombreux, de l’éducation au logement, en passant par la santé et le développement économique, que beaucoup de communautés voudraient voir passer par un partenariat autour du développement des ressources naturelles. Il y a aussi la lourdeur bureaucratique qui sévit à Ottawa et la mauvaise gestion qui prévaut dans plusieurs communautés. Et cette histoire centenaire d’encadrement gouvernemental et législatif, par l’entremise de la Loi sur les Indiens, qui limite l’initiative et la prise en main. Un écheveau qui ne peut être démêlé sans donner aux premiers intéressés le mot à dire qu’on leur a trop longtemps refusé.


Ni les autochtones ni le gouvernement ne détiennent la vérité. D’où la nécessité d’un réel dialogue. Le défi du gouvernement sera d’apprendre à écouter avec un esprit ouvert. Cela prend du temps ? Soit, mais le respect et une relation réellement nouvelle n’en demandent pas moins. La confiance ne sera rétablie qu’à ce prix. Et pour cela, il faudra plus qu’une rencontre aux allures de mise en scène. Il faudra une démarche soutenue, continue et sincère.


De part et d’autre.

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