Le cerveau n’a presque pas de sexe

«Les partisans de l’essentialisme biologique, en ce domaine, ceux qui affirment qu’un gars, c’est un gars et qu’une fille, c’est une fille, se croient scientifiques et pleins de gros bons sens, mais, ce petit livre décapant le montre, ils se trompent.»
Photo: Jacques Grenier - Le Devoir «Les partisans de l’essentialisme biologique, en ce domaine, ceux qui affirment qu’un gars, c’est un gars et qu’une fille, c’est une fille, se croient scientifiques et pleins de gros bons sens, mais, ce petit livre décapant le montre, ils se trompent.»

Bon, les hommes ne sont pas des femmes, et vice versa, et, des fois, ça paraît, non seulement dans l’allure, mais aussi dans le comportement. Cela signifie-t-il, pour autant, que ces différences sont innées et reposent sur d’immuables fondements biologiques ? Cette idée, en tout cas, est répandue. Voire dominante.

Le 10 décembre 2012, sur le « blogue de l’édito » de La Presse, Mario Roy se moquait du fait que, en Suède, on souhaite offrir aux enfants des jouets asexués, sous prétexte « qu’aucune propension innée ne différencie les garçons et les filles ». Ben voyons donc, rétorque l’éditorialiste armé de son gros bon sens. Pour voir si ça a de l’allure ! «Nous acceptons (pas le choix !) qu’à la naissance, garçons et filles sont [sic] physiquement différents, écrit-il, mais certains doutent qu’ils puissent l’être aussi sous d’autres rapports. Nous sommes de drôles de bêtes, vraiment…»


La preuve circonstancielle avancée par l’éditorialiste pour montrer que garçons et filles sont aussi différents psychiquement est que Kim Yaroshevskaya, créatrice de Fanfreluche, a déjà raconté avoir reçu, dans son enfance, un fusil jouet « qu’elle s’était empressée d’emmitoufler comme un bébé et qu’elle berçait en fredonnant ». Peut-on démontrer de façon plus évidente qu’une fille, c’est une fille ?


En majorité, les lecteurs et lectrices de ce blogue ont d’ailleurs donné raison à Roy en racontant que, instinctivement, sans pression parentale, leurs enfants garçons préféraient les camions aux poupées et les filles, les cuisinières jouets aux fusils. La cause serait entendue, donc, sauf pour les idéologues hurluberlus qui refusent les évidences ?

 

Diversité cérébrale


Pas si vite, rétorquent à leur tour Catherine Vidal et Louise Cossette, qui participent à l’ouvrage collectif Cerveau, hormones et sexe. Des différences en question. Neurobiologiste et directrice de recherche à l’Institut Pasteur de Paris, Vidal affirme que si, en matière de fonctions reproductives, on peut dire que le cerveau a un sexe puisqu’on trouve dans les cerveaux féminins « des neurones qui s’activent chaque mois pour déclencher l’ovulation, ce qui n’est pas le cas chez les hommes », il n’en va pas de même en matière de fonctions cognitives, domaine dans lequel « la diversité cérébrale est la règle, indépendamment du sexe ». L’imagerie cérébrale par résonance magnétique, en d’autres termes, « a montré que les différences entre les personnes d’un même sexe sont tellement importantes qu’elles dépassent les différences entre les deux sexes ».


Ce phénomène s’explique par ce que Vidal appelle la plasticité du cerveau. Nous venons au monde avec un stock d’environ 100 milliards de neurones. Or, pour fonctionner, ces derniers doivent se connecter entre eux. À la naissance, 10 % de ces connexions, les synapses, sont déjà réalisées. « Les 90 % restants, explique Vidal, vont se construire progressivement au gré des influences de la famille, de l’éducation, de la culture, de la société. Chez l’adulte, on estime à un million de milliards le nombre de synapses ! »


Notre bagage biologique de base, autrement dit, sauf en cas d’anomalies physiologiques particulières, n’est pas un programme prédéterminé et est fortement malléable. Aussi, quand le président de l’Université Harvard déclare, en 2005, que « le faible nombre de femmes dans les disciplines scientifiques s’explique par leur incapacité innée à réussir dans ces domaines », il dit une grosse niaiserie.


Des études, pourtant, tendraient à lui donner en partie raison. Certaines d’entre elles (les travaux de la psy américaine Doreen Kimora sont les plus cités) auraient montré, par exemple, que les femmes sont meilleures que les hommes dans les tests de calcul arithmétique et de langage, mais que les hommes les surpassent dans les tests d’orientation spatiale et de raisonnement mathématique.


Vidal, en s’appuyant sur d’autres études, montre cependant que ces différences « ne sont détectables qu’à partir de l’adolescence » et disparaissent avec l’apprentissage. Une récente étude américaine conclut d’ailleurs à l’égalité entre filles et garçons de 7 à 17 ans à des tests de mathématiques. Il faut surtout retenir, enfin, que les écarts de performance en mathématiques dans divers pays sont liés au degré d’émancipation des femmes. « Plus le contexte politique est favorable à l’égalité femmes-hommes, résume Vidal, plus les filles obtiennent de bons scores en mathématiques. »

 

Des comportements culturels


La psychologue Louise Cossette, qui propose ici une revue de certaines méta-analyses concernant les différences comportementales entre les femmes et les hommes (comportements moteurs, conduites sexuelles, aptitudes cognitives), en arrive à de semblables conclusions. « Les différences entre les sexes, résume-t-elle, sont minimes dans les sociétés les plus égalitaires et sont marquées là où le statut des femmes est nettement inférieur à celui des hommes. »


Malgré ces études, la croyance en une différence psychique innée des sexes persiste et entraîne des comportements culturels faussement attribués à la nature. Parce qu’on postule une différenciation naturelle des rôles sexuels, on met la culture au service d’une nature qui n’est pas celle que l’on croit. Louise Cossette cite des études qui montrent que la socialisation des sexes procède, elle, à une différenciation des sexes. Ainsi, « les parents encouragent les filles et les garçons à se livrer à des activités distinctes », leur offrent des jouets « fortement stéréotypés », « bien avant que [les enfants] en fassent la demande », et répondent plus longuement aux questions des garçons qu’à celles des filles.


Les partisans de l’essentialisme biologique, en ce domaine, ceux qui affirment qu’un gars, c’est un gars et qu’une fille, c’est une fille, se croient scientifiques et pleins de gros bon sens, mais, ce petit livre décapant le montre, ils se trompent. On naît, bien sûr, garçon ou fille, mais la suite n’est pas biologiquement programmée. « Sur le plan comportemental, comme l’écrit ailleurs Catherine Vidal, tout ce qui relève de l’humain se fait d’abord sur des constructions mentales. » Je suis un homme. Et je n’aime ni les voitures, ni les fusils, ni le Super Bowl.

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