Prends l’oseille et tire-toi!
Qu’y a-t-il de commun entre Jacques Villeneuve et Gérard Depardieu ? Tous deux sont, semble-t-il, sur le point de fuir leur pays pour échapper à l’impôt et se réfugier dans un paradis fiscal. Andorre pour le premier, la Belgique pour le second. Le premier est parti dans une pétarade de Formule 1 en faisant surtout beaucoup d’esbroufe, comme à son habitude. Le second aura enfourché sa vieille Münch Mammut et pris la direction du plat pays en prenant soin de se retourner pour faire un bras d’honneur au gouvernement socialiste de François Hollande.
Car il y a beaucoup de cette attitude frondeuse dans le geste de celui qui demeure l’un des plus grands comédiens de sa génération. Comme si l’homme avait oublié les tirades courageuses de Cyrano pour redevenir le petit voyou des Valseuses. C’est avec une vraie tristesse que les Français ont déploré le « départ » de cet immense comédien.
Sans compter qu’à Néchin, le patelin près de la frontière française où Depardieu prétend vouloir s’installer, « il va se faire chier comme un rat ! », rigolait Michel Sardou. Mais le chanteur devait aussi ajouter qu’il ne se regarderait « pas bien dans la glace » s’il devait un jour dire à son public : « Maintenant, les mecs, vous êtes dans la merde, excusez-moi mais je prends l’oseille et je me tire. »
De Jacques Villeneuve, qui a fréquenté les riches lycées privés du jet-set en Suisse, on n’attendait rien de particulier. Bien sûr, s’il ne s’était pas permis de faire la morale aux étudiants qui portaient le carré rouge, on aurait peut-être moins à redire. Que valent en effet ces remontrances de la part d’un « citoyen » qui, après avoir usé du plus précieux de ses droits, celui de critiquer publiquement ses semblables, oublie ses devoirs et se pousse comme un lâche ?
Il y a quelque chose d’obscène dans cette propension des multimillionnaires à se faire la malle à la première difficulté. Villeneuve et Depardieu ne sont pas des exilés politiques menacés de mort en Russie ou en Iran. Ils ne fuient pas un gouvernement islamiste ou la misère. Ils fuient des pays exemplaires sur les plans de la démocratie et de l’équité sociale. Des pays cités en exemple partout dans le monde pour leurs politiques à l’intention des plus défavorisés. Ils auront beau jeu ensuite de donner de l’argent à Oxfam !
Que Villeneuve et Depardieu aient des désaccords avec la politique de leur gouvernement, on pourrait à la limite le comprendre. Que Depardieu dénonce la taxe exceptionnelle de 75 % que François Hollande imposera pendant deux ans aux revenus dépassant le million d’euros, pourquoi pas ? Que n’ont-ils choisi alors de s’installer dans des pays dont les politiques sont plus proches de leurs idéaux : l’Allemagne, les États-Unis, la Grande-Bretagne ? Le choix ne manque pas. Ils ont préféré de médiocres paradis fiscaux qui vivent en parasites sur le dos de leurs voisins.
Se taire à ce sujet revient à cautionner une forme de flibusterie moderne. Celle de ces pays dont une partie des politiques fiscales est dessinée sur mesure pour piller les grandes fortunes du voisin. Cela fait des années que le Conseil de l’Europe dénonce le blanchiment d’argent en Andorre, qui a longtemps dû sa prospérité au secret bancaire. Quant à la Belgique, les grands prêtres du néolibéralisme si prompts à dénoncer la fiscalité « confiscatoire » de la France devraient savoir que les taux d’imposition du travail, le déficit et la dette y sont encore plus élevés.
À la différence de la France, la Belgique a cependant un des régimes fiscaux les plus déséquilibrés du monde, selon l’OCDE. Si elle ponctionne les salaires à des taux prohibitifs, elle exonère d’impôts ceux « qui s’enrichissent en dormant », comme disait si bien François Mitterrand. À 1 heure 20 de Paris, Bruxelles peut ainsi se permettre de brandir de temps en temps un Bernard Arnault ou un Gérard Depardieu en guise de trophée de chasse.
Et puis, il y a un énorme mensonge derrière cette fraude à ciel ouvert. Qui croit vraiment que Jacques Villeneuve et Gérard Depardieu vont passer la moitié de l’année dans ces coins perdus ? Demandez aux habitants de Gstaad si Johnny Hallyday passe 183 jours par an en Suisse et y dirige l’essentiel de ses affaires ? Le maire de la ville regarde ses souliers chaque fois qu’on lui pose la question. Et dire que nos snowbirds perdent leur droit à l’assurance maladie dès qu’ils dépassent de 24 heures la période de six mois de résidence permise hors du Québec.
Le battage médiatique entourant Arnault et Depardieu ne devrait pourtant pas empêcher la France de conserver le record européen du nombre de millionnaires. Rien ne démontre en effet que l’exil fiscal est en hausse depuis dix ans. En passant, Gérard Depardieu n’est peut-être pas au bout de ses peines. Il devra d’abord payer une importante taxe de sortie. L’an dernier, l’inspection fiscale a rattrapé 170 faux exilés qui ont dû quand même acquitter leurs impôts en France.
À l’époque des champs de bataille, les déserteurs risquaient le peloton d’exécution. Heureusement, nous n’en sommes plus là. Sans cultiver de nostalgie déplacée, conservons au moins le courage de dire que la loyauté à l’égard de son pays n’est pas tout à fait devenue un vain mot.