Questions d’image - Montréalitudes

Allons, allons, une cité n’est pas faite que de ses dirigeants. Et, Montréal en a vu d’autres. Elle est faite, Dieu merci, d’un tissu d’une complexité extrême qu’il serait malhabile de réduire à son histoire, à sa situation géographique, à sa culture, à son économie et encore moins aux atermoiements chaotiques de certains de ses leaders.

Montréal est, disons-le, dans une passe critique, une turbulence désagréable, qui en dit long sur la façon dont elle a été gérée dans les dernières années. En ce sens, sa réputation souffre. Mais à des niveaux différents et même passablement contradictoires, selon le lieu où l’on se trouve. À l’intérieur du Québec, les choses se sont nettement plus détériorées, mais, à l’extérieur du pays, rien de tout cela, bien au contraire.


L’occasion est belle, il est vrai, pour réfléchir à l’identité de Montréal. Le gouvernement de Pauline Marois entend entreprendre cet exercice. C’est la première ministre elle-même qui l’a annoncé dans son discours d’ouverture de la présente session parlementaire.


On est en droit de se réjouir certes, mais également de se questionner sur l’objectif fondamental de cette initiative. S’il n’est que partisan alors, ce sera parfaitement caduc. La ville étant, par définition, un espace citoyen et non un espace politique.


De Strasbourg, en mission d’études, je participe à un séminaire universitaire dans lequel la question des villes et de leur économie sociale et créative est au coeur des préoccupations. Avec des collègues montréalais et un groupe d’étudiants, nous discutons ferme de l’identité de Montréal. Une discussion passionnante et animée qui s’enflamme vite tant on ressent la relation passionnelle que les Montréalais entretiennent à l’endroit de leur ville. Rien de scientifique cependant, mais quelques bonnes pistes de réflexion.


D’entrée de jeu, nous tombons d’accord pour affirmer que Montréal n’a pas une, mais des identités ou, plus exactement, que son identité est définitivement plurielle.


Une identité de ville créative et dynamique. On cite et recite à satiété le Cirque du Soleil, Ubisoft, Moment Factory et, bien sûr, l’industrie aéronautique, Bombardier en tête, CAE, et encore la SAT, toutes les industries culturelles confondues, ou la réalisation de l’Espace pour la vie, qui contribuent grandement à l’identité créative de Montréal. Une force réelle de développement économique. Ce rayonnement constitue une fierté tangible qu’on est capable d’articuler avec passion.


Pourtant, au Québec, cette fierté s’étiole pour faire place à l’inverse à une amertume et à une frustration marquées en raison de la décrépitude des infrastructures et d’un manque évident d’un plan d’urbanisation moderne et adapté à une cité qui - comme d’autres grandes villes - doit composer avec des réalités environnementales : espaces verts et transports écologiques, mobilité, piétonnisation et cyclabilité, etc.


Une identité francophone, mais aussi multi- ethnique et multiculturelle… et pas vraiment urbaine. Montréal change. Ses flux migratoires déficitaires à l’endroit des francophones fragilisent son tissu social, et c’est en cela qu’il paraît opportun d’agir pour intégrer harmonieusement les étrangers allophones de première génération et garder ceux de la seconde. L’identité francophone ne se préservera que si l’on agit sur ces populations qui, de plus, présentent un indice très élevé de solidarité familiale. Mais la ghettoïsation est toujours un danger qui délimite fermement des clivages sociaux et culturels sans jamais qu’ils s’interpénètrent.


Une identité villageoise. Montréal est une ville qui se structure sur un modèle traditionnel et qui s’apparente davantage à un noyau villageois typé, de maisons de villages et de quartiers, dans lequel tout le monde cohabite en harmonie. Dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce, par exemple, il se parle plus de 100 langues différentes. Mais dans quelle langue cohabitent-ils ? Plus délicat.


Montréal est une ville agréable à vivre, raison de plus pour que cette identité de ville familiale influence des priorités structurelles, d’infrastructures et de logements pour pallier l’autre menace, la migration des francophones vers les banlieues (qui est amorcée) en raison du coût d’acquisition élevé du premier logement. Mais on peut aussi se poser la question ; le rêve des Montréalais est-il urbain, ou les Montréalais ne sont-ils que des banlieusards en puissance ? Ici, la conversation s’anime. Qu’est-ce que l’urbanité en 2012 et que sera-t-elle en 2050 ?


Et puis, conclut un autre, que serait le Québec sans Montréal ? Quelle bonne question ! Sa relation avec le reste du Québec n’est pas saine. Cela aussi frustre, et Montréal, et les régions. Tout le monde a intérêt à faire cesser des chicanes stériles, alimentées par les radios et les médias populistes. Du gros travail pour le nouveau gouvernement et le prochain maire, sinon la « montréalitude » nous guette : une désintégration de la cité en de multiples solitudes sociales, ethniques et culturelles. Montréal mérite quand même beaucoup mieux.

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