H & M et Margiela: mariage consommé


	D’un lancement de collection, l’événement new-yorkais allait prendre des allures de théâtralité avec des danseurs. H&M et la Maison Martin Margiela viennent-ils de sonner le glas des défilés traditionnels?
Photo: Source H&M
D’un lancement de collection, l’événement new-yorkais allait prendre des allures de théâtralité avec des danseurs. H&M et la Maison Martin Margiela viennent-ils de sonner le glas des défilés traditionnels?
Le 23 octobre dernier, les yeux de la planète mode étaient rivés sur le dévoilement, à New York, de la collection capsule Maison Martin Margiela avec H&M. C’est dans un immeuble historique mis à nu que les créatifs des deux illustres maisons avaient convié les gourous de la presse internationale, le who’s who du star-système américain, de Julianne Moore à Sarah Jessica Parker, de même que les beautiful people de la Grosse Pomme, pour vivre une expérience à mille lieues de la banalité.
 
New York — À l’ombre de Ground Zero, dans un édifice de neuf étages vide et abandonné, à l’éclairage blafard, ce grand happening allait s’articuler autour d’un atrium au toit de verre offrant des vues spectaculaires à chacun des paliers. Nous allions vivre un grand moment de cinéma dans une atmosphère fantomatique de fin du monde à la Blade Runner, revu et corrigé par Fellini. Du grand art.
 
D’un lancement de collection, cette soirée allait prendre les allures d’un événement à la théâtralité grandiose, mis en scène par la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker, qui avait élaboré pour l’occasion un spectacle mouvant et différent à chaque étage.
 
On avait ainsi recréé çà et là d’immenses carrés de sable blanc où les danseurs, à tour de rôle, venaient prendre place, portant un vêtement de la nouvelle collection. Ces mannequins d’un soir allaient par la suite se dévêtir tout en dansant autour de leur vêtement fétiche, déposé telle une sculpture sur le sable, créant ainsi des installations artistiques vivantes, spontanées et éphémères.
 
Mais Étienne Russo, le producteur et directeur créatif responsable de cette célébration de l’originalité, n’avait pas fini de nous en mettre plein la vue. La collection issue de la collaboration avec H&M, une série de rééditions de vêtements et d’accessoires de diverses saisons de la Maison Martin Margiela, fut ensuite révélée au sein d’installations artistiques réparties sur les étages : les artistes avant-gardistes Daniel Arsham, Frédérique Chauveau et Noémie Goudal y exposaient des sculptures, des projections vidéo ainsi que des photographies exclusivement dédiées à l’événement, comme dans un musée d’art contemporain.
 
H&M, le détaillant suédois de la mode démocratique, avec la complicité de la Maison Martin Margiela, une institution parisienne qui a toujours suivi sa propre voie, souvent hors du cadre conventionnel de la mode, viennent-ils de sonner le glas des défilés traditionnels ? L’éblouissement semblait faire l’unanimité jusqu’au neuvième et dernier étage, là où étaient présentées sur des portants à roulettes de nouvelles collections féminines et masculines, de même que les lignes de bijoux, d’accessoires et de chaussures enfin libérées et accessibles.

Le style abordable

« C’est incroyable et très excitant de célébrer un de mes de­signers favoris, s’est exclamée Sarah Jessica Parker, l’héroïne de Sex and the City. C’est une belle occasion d’avoir accès à de grands créateurs. Le luxe est maintenant disponible pour tous grâce à H&M. » Le très élégant acteur écossais Alan Cumming, avec son look de dandy, abondait dans le même sens : « Je suis ici pour découvrir la collection Margiela. J’adore la manière dont H&M collabore avec d’autres créateurs. C’est formidable de faire des vêtements stylisés et abordables. »
 
La collection Maison Martin Margiela avec H&M sera disponible dès le 15 novembre dans près de 230 magasins H&M à travers le monde. Au Québec, les fashionistas et les férus de style pourront la découvrir en exclusivité au magasin phare de la rue Sainte-Catherine Ouest.
 
Fondée en Suède en 1947 et encore fidèle à sa mission du tout début, H&M, la grande chaîne de magasins de vêtements tendance continue de proposer des collections pour tous où mode et qualité sont offertes aux meilleurs prix. Le détaillant se distingue toutefois de ses concurrents dès 2004, en lançant une première collection capsule conçue pour la marque par Karl Lagerfeld.
 
À la suite du succès fracassant de cette collaboration, elle récidivera à plusieurs reprises en initiant des partenariats exclusifs et innovateurs avec plusieurs créateurs, dont Stella McCartney (2005), Comme des garçons (2008), Sonia Rykiel (2009) et Versace (2011), ou avec des stars comme Madonna (2006), Kylie Minogue (2007) et David Beckham (2012).
 
Outre les réussites répétées des collections temporaires, il est admirable de constater à quel point ce géant de la mode a su chaque fois respecter les styles extrêmement diversifiés de chaque artiste et que jamais les équipes dirigeantes de H&M n’ont tenté d’influencer ou de dénaturer l’essence et l’âme des créateurs.
 
Dans ce monde cruel, frivole, qui manque souvent d’éthique professionnelle, là où les pires histoires d’horreur sont légion, il est rassurant de constater que l’élégance, autant physique que morale, a encore sa place parmi les commerçants et les fabricants de prêt-à-porter.
 
Pour H&M, l’audace et la pertinence de solliciter Maison Martin Margiela afin de développer une ligne exclusive montrent bien que son équipe de direction s’est dotée d’une vision exemplaire qui carbure visiblement aux plus beaux défis.
 
Il faut reconnaître que le génie, le talent et la créativité de Margiela sont reconnus depuis 1988 par un fan-club d’inconditionnels et de chasseurs de tendances, qui applaudissent depuis lors à la démarche artistique singulière d’un atelier à contre-courant, iconoclaste et expérimental, défiant le système avilissant et égocentrique de la mode.
 
L’illustre marque suédoise n’allait pas être taxée de facilité, car si le prestige de la griffe Margiela ne fait aucun doute, son succès en a toujours été un d’estime et de reconnaissance, teinté d’élitisme bien plus que de gros sous.
 
Voilà que tout cela risque de changer radicalement, et de façon magistrale, avec cette collection irrésistible où la magie opère à chaque pièce. L’idée de base, fort séduisante, était de rééditer une multitude de styles mythiques féminins et masculins qui avaient marqué l’univers esthétique et l’évolution de la maison Martin Margiela.
 
Détournement de notions

En détournant les notions classiques de la mode, l’imagination du groupe Margiela a su réinventer les volumes, faire évoluer les formes en modifiant la fonction et le mouvement original des vêtements interprétés dans des matières au goût de jamais-vu. Déconstruction, surdimension, trompe-l’œil, ambiguïté, transformation, humour et fantaisie, en blanc surtout, mais également en noir, rouge ou argent, des thématiques réinterprétées si typiques du style de Margiela. Les bases mêmes de l’œuvre admirable et marginale de Margiela se déclinent comme un best of des créations intemporelles d’une maison hors norme et d’un détaillant visionnaire.

 
Collaborateur

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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