Théâtre - L’épée et le miroir

Depuis sa mise sur pied en 1983, le Conseil québécois du théâtre (CQT) entend « fédérer, défendre, promouvoir » l’art théâtral d’ici. L’organisme multiplie les initiatives visant à atteindre ces différents objectifs : services à la collectivité, représentation auprès des différents ordres de gouvernement, promotion collective et organisation de forums d’échanges sur des enjeux capitaux pour le développement de notre théâtre.

Depuis quelques mois, je siège bénévolement dans l’un des comités de réflexion mis sur pied par le CQT. D’abord consultatives, ces cellules de discussion sont appelées à soumettre des recommandations et des plans d’action au conseil d’administration, dont la composition reflète tous les corps de métiers de la scène auxquels s’ajoutent des administrateurs et des représentants associatifs. Si les travaux de notre équipe sont loin d’être terminés, je peux déjà témoigner du fait que se tiennent là des échanges animés et passionnants sur des sujets souvent délicats, dans notre cas la complémentarité de la formation professionnelle et les écoles de théâtre, véritable boîte de Pandore que le milieu ose rarement ouvrir.


Ces dernières semaines, le CQT a procédé à deux annonces importantes : la publication de son troisième rapport annuel sur les conditions socioéconomiques de la pratique théâtrale sur l’ensemble du territoire et la nomination d’une nouvelle présidente, la comédienne Dominique Leduc. Dans l’allocution prononcée lors de son élection le 19 octobre dernier, cette dernière s’avouait consciente des nombreux défis qui l’attendent, mais affirmait croire en la force du nombre : « Un coup d’épée dans l’eau n’est vain que s’il est isolé. Des milliers de coups d’épée en même temps créent une vague. »


Dominique Leduc dégage une classe naturelle qui tient aux traits, à la posture, au regard. Cette grâce posée la destinerait aux rôles classiques, mais, ces dernières années, elle s’est surtout illustrée dans la création hors normes, notamment avec Momentum (Mycologie, Buffet chinois) du noyau créatif duquel elle fait partie et au sein duquel elle a écrit et mis en scène son Ardent désir des fleurs de cacao en 2006. Jusqu’au 10 novembre, Dominique Leduc interprétera la mère dans l’ambitieux Nom de domaine d’Olivier Choinière, au Théâtre de Quat’Sous.


Militante citoyenne de longue date, la nouvelle présidente succède à Sylvain Massé, qui lui-même avait remplacé en 2009 le metteur en scène Martin Faucher, un rassembleur qui avait animé avec verve les Seconds États généraux sur le théâtre en 2007. En entrevue, Mme Leduc défend avec vigueur ses convictions profondes : le potentiel et la qualité des moyens d’action dont se dote le CQT, la nécessité de se réunir pour être plus fort et surtout l’influence capitale que peut avoir l’art sur la santé mentale et le développement de l’individu comme du corps social en entier.


Tout en reconnaissant le rôle essentiel de levier politique que doit jouer l’organisme qu’elle préside désormais et l’importance de pouvoir compter sur une documentation solide comme la récente étude Profil statistique de la saison théâtrale 2009-2010, Dominique Leduc se fait toutefois critique d’une certaine stratégie du milieu culturel consistant à user principalement d’arguments économiques - croissance, emplois, retombées diverses - pour convaincre interlocuteurs et détracteurs de sa légitimité. « Si on évalue toutes les dimensions de l’expérience humaine en fonction de leur seule rentabilité, ça devient extrêmement tendancieux », martèle-t-elle, avec raison.


Au sein d’un vaste regroupement comme le CQT, il est plutôt aisé d’établir des consensus autour de sujets comme l’importance de l’art et de la culture dans la sphère sociale ou la précarité qui entoure souvent la pratique du théâtre. Mais le Conseil ne devrait-il pas aussi être le lieu où, malgré l’importance de la solidarité et la nécessité de faire front commun, le milieu devrait se livrer à des examens d’autocritique, exercices de maturité consistant à s’interroger sur les acquis et à ébranler les statu quo au nom de l’évolution collective ? À la suite d’États généraux qui, il y a cinq ans, avaient laissé plusieurs artistes et observateurs dubitatifs face à la capacité de l’ensemble de la profession à se remettre en question, les comités de réflexion dont nous parlions plus tôt furent mis en place afin de poursuivre les échanges. Est-ce suffisant ?


« Je reste convaincue qu’il faut agir dans l’intérêt supérieur du théâtre, dans l’intérêt du plus grand nombre », soutient Dominique Leduc, avant de reconnaître que se croisent au CQT des orientations diverses, des points de vue variés et souvent divergents, des susceptibilités parfois plus chatouilleuses que d’autres. « On ne peut pas penser que l’on va tout solutionner, c’est évident. Par contre, insiste-t-elle, la pire des erreurs serait de balayer sous le tapis les problèmes les plus complexes. La première étape consiste à briser les tabous, à s’asseoir et à nommer ces zones sensibles. » Si le Conseil québécois du théâtre se doit de continuer à brandir bien haut l’épée pour défendre un écosystème fragile, il lui reste aussi une main pour tendre au vaste groupe qu’il représente un miroir dénué de complaisance.

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