Toutes nos envies
Entendez-vous les plaintes et les longs sanglots ? Ce sont les pleureuses des riches qui braillent les louanges de cette classe sacrifiée au profit de la multitude, en rémission de tous nos péchés fiscaux.
Avez-vous compris comme moi que, du même coup et par quelque détour malhonnête, on psychanalyse le Québec en affirmant, entre deux hoquets douloureux, que nous taxons les mieux nantis parce que nous méprisons la richesse, et que nous sommes consumés par la jalousie ?
Faudrait se brancher. Il n’y a pas si longtemps, c’était la classe moyenne qui souffrait le martyr. Où est-elle aujourd’hui ? Ah tiens, elle fait la file toute la nuit devant un Apple Store pour se procurer un nouvel iPhone presque identique au précédent. Si ce n’était pas ça, ce serait une nouvelle télé comme celle du voisin. Le troupeau n’est jamais loin.
La classe moyenne est-elle jalouse, demande-t-on ? Elle est surtout bovine.
Revenons aux riches, qui m’intéressent d’autant plus qu’avant, j’en étais. Enfin, mes parents. Je n’en suis ni fier ni honteux. Je suis né comme je suis né. Aujourd’hui ? Je ne suis vraiment pas pauvre, mais vraiment pas riche non plus. Sauf qu’on ne cesse pas d’être un bourgeois aussi facilement, j’en ai donc conservé des réflexes, des goûts, quelques snobismes.
Et beaucoup d’amis.
Des vieux de la vieille et des plus récents, mais qui viennent du même terreau. Nous avons en commun des loisirs de riches. Non non, pas le golf. Mais le vélo, le ski, la gastronomie et les voyages. Sinon, moi, j’écris. Eux occupent des fonctions importantes, possèdent des entreprises ou en dirigent, certains sont avocats, médecins. Je suis sincèrement admiratif de ce qu’ils font, ils prennent parfois d’énormes risques et travaillent tous plus ou moins comme des dingues. Des fois, quand je vais m’entraîner le mardi matin, je les appelle pour leur demander s’ils veulent venir rouler. Je sais, c’est chien.
Je ne leur jalouse que deux choses, en fait. La liberté de mouvement que procure l’argent, cette capacité de pouvoir dire : tiens, je pars à Berlin la semaine prochaine. Mais surtout, je les envie de devoir payer autant d’impôts.
Si je niaise ? Pas une seconde.
D’abord parce que vient avec d’importants revenus un bouquet de privilèges qui adoucissent le fardeau fiscal et dont on parle trop peu souvent lorsqu’on fait les comptes. Je pense aux très nombreuses possibilités d’exemptions, de déductions, ou alors, la latitude, avec plus de fonds disponibles, de cotiser au maximum à son REER par exemple. Et ensuite, bon, c’est peut-être juste moi qui suis comme ça, mais si je payais 60 000 $ en impôts, il m’en resterait bien plus qu’il ne m’en faut pour vivre. Et très bien.
Tout cela pour dire que si je ne crois pas au mépris des riches, leurs tourments existentiels ne m’émeuvent guère non plus.
Mais je suis convaincu qu’au fond, il ne s’agit pas vraiment d’un débat sur la fiscalité. Ni d’une guerre des classes. C’est un inconfort qui se généralise et dont on sent que, s’il est parfois livré sous la forme de préjugés et d’arguments douteux, il n’en est pas moins réel.
Écoutez comment ces lamentations sur la misère des riches s’accompagnent de récriminations concernant le refus du gouvernement de laisser les gazières exploiter le sous-sol malgré qu’on y injecte toutes sortes de merdes. Voyez comment on démonise aussi ceux qui parlent des risques de forer le lit du Saint-Laurent.
Mais il faut créer de la richesse, dit-on ? D’accord. Mais à quel prix, demande notre conscience ? Et c’est justement cette voix que plusieurs ne peuvent plus tolérer.
J’ai grandi dans l’abondance, vous disais-je, mais j’ai été élevé par des gens épris de justice qui croient que cela s’accompagne de responsabilités. Longtemps partagé par la majorité, ce sentiment s’étiole, et l’idée d’une société plus égalitaire se dissout dans celle d’une société simplement plus riche. Enfin soulagée de sa mauvaise conscience qui lui parle de pauvreté, d’écologie. Libre de profiter de l’unique course au bonheur qu’elle connaît : celle des choses.
Ce n’est pas un combat de classes, c’est une critique du système dans un monde de gratification instantanée. Un monde où disparaît la conviction qu’on gagne à donner plus, because, c’est vrai, l’incapacité des gouvernements à épurer leurs propres finances et à inspirer confiance.
C’est notre plus grande faillite et le plus triste de nos renoncements : ce refus que le bien commun l’emporte sur nos fringales, sur notre désir de succomber à toutes nos envies.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.