À vous, Madame la Juge
Je ne sais pas, Madame la Juge France Charbonneau, si vous mesurez la confiance qu’on a mise en vous, nous, les citoyens de bonne foi du Québec. L’un des candidats vedettes de la récente élection a dû répéter mille fois qu’il fallait faire un grand ménage dans ce pays que nous aimons tant. Il avait sans doute oublié que vous étiez déjà en train de fourbir vos plumeaux et vadrouilles et que vous aviez déjà une bonne idée des secteurs dont il fallait assurer la propreté le plus rapidement possible.
Nous y sommes enfin. Nous attendions cette date avec impatience. Les femmes, ces temps-ci, semblent avoir rendez-vous avec l’Histoire plus que jamais auparavant. Nous en sommes fières pour nous toutes.
Je sens en plus que vous n’êtes pas le genre de femme à qui on pourra faire avaler des couleuvres. Vous en avez vu d’autres. Ce « monde » qui va défiler devant vous, vous l’avez déjà vu, vous en connaissez de grands pans et vous n’êtes pas femme à vous laisser intimider par le premier beau parleur qui va se présenter devant vous. Votre calme et votre assurance serviront de réponse à tous ceux qui, fatalement, tomberont de haut devant vous et votre commission.
Le peuple vous appuie, Madame la Juge. Il est important que vous le sachiez parce qu’il se peut que cet appui vous permette toute la liberté dont vous aurez besoin pour mener votre démarche jusqu’au bout. À moins que vous ne commettiez de graves erreurs, ce peuple se rangera derrière vous, car il a besoin de bien voir que la démarche n’est pas bâclée, qu’elle n’est pas frileuse et qu’elle débouchera sur un monde meilleur dont nous avons bien besoin.
Nous savons déjà que vous n’aurez pas que des « ti-counes » devant vous, ni des gens remplis de bonnes intentions qui plaideront l’ignorance ou la bonne volonté. Vous risquez, au contraire, de vous retrouver devant de gros bonnets qui ne se prennent pas pour des deux de pique et qui ont l’habitude qu’on les traite avec crainte et déférence dans leurs fonctions habituelles. Votre rôle sera sûrement de nous permettre de les connaître tels qu’ils sont et de nous éclairer sur les méthodes qu’ils utilisent pour contraindre leurs dévoués serviteurs à exercer le contrôle leur permettant de régner sur un monde complexe, cet univers aux lois et modes de fonctionnement donnant à faire peur quand on les retrouve à la une de nos journaux.
Attentes élevées
Honnêtement, je ne vous envie pas cependant. Autant je vous admire, autant j’espère que vous tiendrez le coup quand vous serez forcée de compter les cadavres qu’il faudra bien compter, ou les sommes fabuleuses qui ont été détournées des objectifs prévus pour enrichir quelques hauts gradés, ou les formidables démonstrations d’une imagination sans limites pour tripoter l’argent comme on l’entend. Une chose est sûre, il n’y aura pas une seule émission de fiction à la télévision qui pourra soutenir la comparaison avec votre matériel dans les semaines qui viennent.
Vous savez déjà que ceux qui vont défiler devant vous ne sont pas des enfants de choeur. La violence fait partie de leur arsenal de guerre. Ils essaieront de vous discréditer et il se peut que plusieurs d’entre eux choisissent de jouer les vierges offensées devant les caméras en essayant de vous émouvoir. Ou pire, de jouer les pauvres victimes de votre commission, espérant s’attirer ainsi la sympathie du public. Ne leur donnez pas trop la possibilité de jouer ces rôles dans votre commission. Rappelez-leur qu’ils ne sont pas là par hasard. Ils comprendront qu’ils ont intérêt à filer doux.
Nos attentes sont élevées. Nous, du public, avons tellement attendu et souhaité cette commission que nous avons sans doute exagéré les bienfaits qu’elle pouvait nous apporter. Il vous appartient maintenant de faire en sorte que nous ne soyons pas déçus. On vous met tout sur les épaules, c’est évident, mais comment faire autrement ?
N’hésitez pas à vous adresser à la population si vous avez besoin d’être appuyée. Le Québec répondra présent si vous avez besoin d’aide. Vous avez la confiance de tout un peuple qui souhaite qu’on lui indique comment se sortir de ce bourbier dans lequel il patauge contre sa volonté et que ses élus n’ont pas combattu comme ils auraient dû le faire.
Le défilé des témoins peut commencer. Nous allons les écouter avec attention, les inscrire dans notre mémoire pour longtemps, commencer à départager le grave du futile, retenir les astuces qu’ils inventent pour exercer le contrôle qu’ils ne veulent pas lâcher et peut-être comprendre pourquoi nous les avons laissé faire.
Grâce au travail de la commission, peut-être serons-nous de meilleurs citoyens et peut-être comprendrons-nous pour toujours que quand nous ne nous occupons pas de nos affaires, quelqu’un d’autre s’en occupe à notre place, ce qui peut causer un réveil brutal.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.