La culture du mépris

Jean Charest démissionnait en direct à la télé quand je suis passé devant l’écran, m’arrêtant un moment pour écouter ses adieux tremblants et un peu humides.


Si j’ai souri ?


Un peu, oui. Mais ce n’était pas le rictus carnassier de celui qui jouit devant la défaite. Ni un sourire empathique. On ne peut quand même pas déplorer la fin d’un spectacle trop long où les acteurs comme le metteur en scène semblent se moquer du public depuis le début.


En fait, j’ai souri pour moi-même en songeant qu’on voyait partir un grand maître du genre. Un politicien d’une qualité rare, dans la mesure où la politique est affaire de manipulation ; cette capacité de surfer sur les envies du moment et les sautes d’humeur du peuple.


Et Jean Charest surfait comme un dieu.


Rarement aura-t-on vu un politicien aussi bien maîtriser l’art du « spin » politique, tactique essentiellement publicitaire qui consiste à maquiller un slogan pour qu’il ressemble à une idée, puis à le répéter assez souvent pour qu’il devienne une vérité.


C’est ce que je retiendrai de Jean Charest : sa capacité à investir l’espace médiatique pour remplir le vide avec encore plus de vide.


Il n’a évidemment pas l’exclusivité de la chose, et dans le genre, François Legault s’est avéré un redoutable adversaire. Mais s’il faut retenir une seule des perles pondues par l’entourage de M. Charest lors de la récente campagne électorale, c’est celle par laquelle il prévenait les Québécois qui s’apprêtaient à voter pour la CAQ qu’ils allaient choisir « la culture de la chicane ».


C’est du vent, se dit-on lorsqu’on entend l’expression répétée sur toutes les tribunes. Et pourtant, des dizaines de déclarations vaseuses du genre qui ont émaillé les dernières semaines, c’est celle qui a sans doute fait pencher le plus grand nombre d’indécis vers le Parti libéral du Québec.


Jean Charest a eu beau dire que les sondages, « c’est n’importe quoi », il s’appuyait quand même fermement dessus pour mener sa campagne. Tout juste avant que le premier ministre sortant n’y aille de cette déclaration sur la culture de la chicane, un sondage CROP-La Presse révélait que, parmi les électeurs, les indécis semblaient les plus allergiques au changement et à l’instabilité. Selon le sondeur, les indécis étaient aussi en majorité des citoyens peu scolarisés, peu politisés et au revenu modeste. Faciles à manipuler, quoi.


Il n’en fallait pas plus pour que, une deuxième fois en quelques mois, Jean Charest endorme la population pour mieux sauver la vie de son parti. D’abord, en s’opposant au mouvement de grève étudiant, ce qui a divisé le Québec pour mieux lui faire oublier l’unanimité de son dégoût devant les accusations qui planaient sur le gouvernement. Puis, en mettant le doigt dans les stigmates laissés par ces quelques mois de déchirements entre amis et membres de la famille pour mieux laisser craindre qu’avec la CAQ, on pouvait s’attendre à ce genre de climat à longueur d’année.


Du très grand art, avouons. Et en même temps, l’expression d’un extraordinaire mépris pour la population. Surtout les plus faibles, les plus malléables d’entre nous.


J’ai souri en regardant le démissionnaire chialer à la télé, mais il ne s’agissait pas vraiment de se réjouir. D’autres suivraient, usant des mêmes bassesses. J’imaginais plutôt M. Charest nous disant qu’il a toujours agi dans l’intérêt de la population, et il en croirait chaque mot.


C’est ainsi que les forts dominent. Avec la conviction d’être parmi les justes, sans jamais douter depuis les hauteurs du pouvoir. Ils gouvernent avec un sentiment de supériorité morale qui semble ne jamais connaître le moindre fléchissement ni le plus petit doute.


Je suis toujours sidéré de voir avec quelle fierté les politiciens peuvent vanter notre économie, se réjouir de nos réussites, puis nous traiter avec le plus extraordinaire mépris lorsque la petite politique entre en compte.


Nous ne sommes peut-être plus des porteurs d’eau, c’est gentil de leur part de le souligner. Mais visiblement, ils nous prennent encore pour des cruches.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo