Les créations orales de Radio X

Lancer une radio d’opinion pendant une campagne électorale, c’est déjà un sacré coup de chance. Entrer en ondes le lendemain du premier des quatre débats télévisés des chefs, ça frise l’indécence providentielle.

Radio X Montréal, la puînée de la famille radiophonique réputée forte en gueule, a donc joui de cette conjoncture exceptionnelle. Le 91,9 FM, qui prend le relais de la défunte Radio Jazz, entame sa quatrième journée d’existence ce jeudi.


Et alors ? Le caractère de la bête se laisse déjà bien deviner. Bon chien chasse de race. Celle-là a été patiemment façonnée par quinze années tumultueuses, avec, comme le dit ironiquement la pub du réseau, des standards « plus ou moins élevés ». En plus de l’opinion forte et tranchée, voire l’insulte et une dose de grossièreté, l’autodérision fait partie de l’arsenal standard aux micros X.


La publicité demande aux auditeurs de se faire une idée par eux-mêmes. C’est fait, mea culpa, après deux journées complètes passées l’oreille scotchée au poste (et le pinceau à la main).


Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes définit la radio parlée comme « une station selon une formule spécialisée consacrée aux créations orales », selon le jargon employé dans le communiqué émis il y a quelques heures pour annoncer la modification de licence de CJMF-FM de Québec, liée au groupe Cogeco. Le Conseil, gardien des ondes du pays, utilise aussi l’appellation de « radio à prépondérance verbale ».


Encore faut-il savoir qui parle ainsi beaucoup. À l’évidence, le 91,9 FM parle tout le temps et souvent toute seule. Elle s’écoute parler, quoi.


Au 98,5 comme à la Première Chaîne, les animateurs reçoivent des invités, partagent le micro, multiplient les points de vue. La radio X fonctionne plus en autarcie, avec des animateurs par paires ou en trio qui échangent entre eux. Les « experts » ou les «témoins» se font rares. Depuis le début de la semaine, cette surenchère verbeuse autarcique porte beaucoup sur les confrontations au sommet politique de Radio-Canada et de TVA. Les animateurs ont passé plus de temps à débattre des débats que les chefs à échanger entre eux.


Ce qui fait que ça parle trop, évidemment. Quelquefois trop mal, parfois trop vite. Le temps d’antenne ou l’espace rédactionnel demeurent extrêmement précieux. Comme les cours ou les conférences les plus appréciés, les meilleures émissions s’avèrent souvent les mieux préparées, à moins d’avoir un talent d’improvisateur exceptionnel. Et comme le disaient les Anciens, l’argumentation devrait s’élever en proportion de la grandeur du sujet.


Là, on a plutôt affaire à de lourdes improvisations, des digressions inutiles, voire des échanges creux, au risque de déraper vers le banal ou l’insignifiant. Ce travers devenait particulièrement gênant, les premières heures en ondes de ce média tout de même planifié depuis des mois.


Bref, ces « créations orales » ne respectent pas toujours le b.a. ba de l’art oratoire. Au pire, cela donne une version sociopolitique de l’ancienne émission culte de TQS 110 %, avec le même douloureux résultat de « mononc’isation » médiatique - et le mononc n’a pas d’âge. Au mieux, les collaboratrices mettent un peu de vernis sur l’ensemble.


Et puis ça parle pour se répéter. On le sait, le Québec se polarise idéologiquement, la division gauche/droite s’ajoutant à la vieille opposition constitutionnelle. La campagne électorale comme les débats le prouvent assez. Les médias reflètent cette évolution en prenant position eux aussi.


Où loge le 91,9 ? Son naturel moyen oscille autour d’un populisme assumé. Toute la hargne se concentre contre les élites, grandes exploiteuses du système surendetté au détriment du peuple. Selon cette perspective, les élites exploiteuses et profiteuses s’installent partout, au pouvoir politique, bien sûr, dans les corporations syndicales, dans toutes les institutions, en fait. Depuis lundi, on a par exemple eu droit à des charges contre la Direction de la protection de la jeunesse, les CHSLD, Hydro-Québec et les organismes subventionnaires du cinéma. Il y a tout de même de la place pour les opinions contraires. Mardi, un candidat de Québec solidaire est par exemple venu expliquer sa vision d’un Québec où domineraient les énergies vertes.


La clique du Plateau, celle qui roule à Bixi et vote écolo-coco, concentre tout de même les défauts détestés. Une pub de la station, diffusée régulièrement, explique « aux gens du Plateau » que le coanimateur Carl Monette, « c’est Monet comme le peintre ».


On connaît la rengaine faite d’utilitarisme, d’économisme et d’un certain libertarisme. Les animateurs de V, de LCN et de TVA la répètent ad nauseam. Les chroniqueurs du Journal de Montréal l’entonnent quotidiennement et en choeur. C’est aussi l’obsession de Mario Dumont, l’ancien chef de l’ADQ passé maintenant chez Québecor. Le polémiste Éric Duhaime, lui, s’active partout, dans le quotidien, sur les ondes anglophones et francophones de Québecor et maintenant au 91,9.


Il faudra y revenir périodiquement pour voir comment la petite dernière va tourner. Il faut d’ores et déjà tout simplement saluer l’apparition d’un nouveau média et surtout d’une station de « créations orales » sur les ondes montréalaises, particulièrement en pleine campagne électorale.

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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