Le silence des oiseaux

J’aime à peu près toutes les activités qu’on peut pratiquer en nature. Mais je réalisais récemment - c’est idiot de ne pas l’avoir remarqué plus tôt - qu’un des plaisirs en forme de dénominateur commun à toutes ces activités réside dans l’observation et l’écoute des chants d’oiseaux.

C’est une joie permanente d’être entouré en nature par le chant flamboyant d’une famille de cardinaux à poitrine rose, de voir aux mangeoires les geais bleus aux couleurs du drapeau national, les chardonnerets éclatants, les minuscules mésanges à tête noire, les sittelles, les tourterelles tristes, pics chevelus et pics mineurs, les roselins et sizerins, les gros-becs, les juncos. S’ajoutent au bout du lac les jaseurs des cèdres que j’apprécie sauf quand ils tentent d’attraper mes mouches à la pêche… Sans oublier les spectaculaires grands pics, dont la mitraille donne l’impression que le bois est envahi par les émules d’Al Capone !


Même en hiver, alors que les modestes mésanges à tête noire ne nous lâchent pas, il faut observer les corbeaux qu’aucune tempête ne rebute. Quel souvenir que ce grand balbuzard qui a fondu sur un huard en train de piller son « spot » de pêche et qui l’a soulevé dans les airs avant de le relâcher dans un plouf sonore, ce qui a fait déguerpir l’intrus pour un été complet !


Et pourtant, toutes ces scènes qu’on ne peut oublier, tous ces chants qui égaient sans qu’on le réalise toujours nos randonnées en forêt, on les tient malheureusement pour acquis. La réalité, c’est que la gent ailée perd des plumes pour toutes ces raisons qui expliquent plus globalement le déclin de la biodiversité : surexploitation ou destruction des écosystèmes, pollution, espèces invasives et changements climatiques. Je n’ose penser que le prix de cette dégradation de l’environnement se traduira un jour par le silence des oiseaux qui donnent vie à la ville et aux forêts.


Je me souviens que ma fascination pour les oiseaux a commencé au primaire quand je faisais partie du club 4-H de mon école primaire. J’en ai construit, des cabanes pour les hirondelles, avec ce club, qui fêtait récemment son 70e anniversaire. Ce qui mérite d’être souligné d’ailleurs.


Comme le signalait le Worldwatch Institute la semaine dernière dans un nouveau rapport, le déclin de la biodiversité terrestre ne pourra être enrayé que si on commence à assigner une valeur économique à ce patrimoine, pas pour le monnayer, mais pour avoir un étalon de mesure afin de déterminer si les emplois généralement temporaires et les retombées économiques des projets ont une valeur supérieure ou non à la présence des espèces vivantes sur plusieurs générations.


Ce travail d’économétrie serait non seulement essentiel mais urgent, insiste le Worldwatch, si on veut confronter enfin les développeurs à leur propre logique. Mais ce travail, de toute évidence, revient aux gouvernements parce qu’aucun promoteur ne démontrera jamais dans une étude d’impact que les espèces qu’il déplace ont plus de valeur économique que son projet, quels que soient les professionnels qu’il embauchera…


Mais même si la proposition du Worldwatch a du sens, je pense que si on peut calculer la valeur des services biologiques que les espèces vivantes nous rendent, la valeur de leur présence sera difficile à comptabiliser.


Je recevais récemment un mémoire de 36 pages rédigé par Martin Lessard, qui a fait le tour des dizaines de nichoirs d’hirondelles noires, installés le long des rapides de Lachine, afin d’optimiser leur occupation. Ces nichoirs ont été installés pour que les hirondelles réduisent la population de mannes qui envahit chaque année les quartiers riverains du fleuve.


Comment calculer d’un point de vue économique la valeur du travail, impossible à mesurer, de ces prédatrices de mannes ? Même si quelqu’un relevait ce défi d’économétrie, je me demande si on arriverait avec rigueur à évaluer le plaisir que procure leur simple présence, leur vol gracieux et leurs cris joyeux. J’admets entretenir beaucoup de doutes sur la valeur des sciences économiques qui nous décrivent notre bonheur collectif en termes de PIB sans y accoler le passif de notre ponction sur les ressources, un passif pourtant exigé de la plus banale entreprise. Désolé pour cette discipline dont certaines factions ressemblent à un club d’aveugles en train de guider des politiciens myopes. Aux dépens de mes oiseaux…


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Galilée : désolé d’avoir envoyé Galilée au bûcher la semaine dernière dans cette chronique. Plusieurs lecteurs m’ont signalé, à juste titre d’ailleurs, qu’il avait été menacé du bûcher pour ses opinions sur l’héliocentrisme, mais qu’il avait évité cette issue fatale. Il est mort en réclusion dans sa villa. Un lecteur, Jean-François Rochon, nous précise de son côté que si un libre-penseur comme Aristarque avait notamment placé le Soleil au centre de notre système planétaire, il aurait fallu malgré tout près d’un millénaire pour que cette idée s’intègre à la pensée dominante en Occident.


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Lecture : Le Québec en miettes, notre nature morcelée à l’heure du Plan Nord. Par Michel Leboeuf, éditions Orinha, collection Nature sauvage, 207pages. La perte de territoires sauvages par leur ouverture à la « civilisation » et leur fragmentation, même légère, s’avère souvent néfaste pour les écosystèmes.

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