L’autre chaudron
Pendant que des milliers de Québécois, pour ou contre la hausse des droits de scolarité, protestent bruyamment contre la loi 78, on peine à entendre ceux et celles qui, à l’extérieur des murs du parlement, s’inquiètent de plusieurs projets de loi conservateurs. La mobilisation est éparse et lente à s’organiser alors que le gouvernement Harper avance à vive allure pour réduire les droits des demandeurs d’asile, priver les auteurs d’une série de redevances pour l’utilisation de leurs oeuvres, serrer la vis aux prestataires de l’assurance-emploi et émasculer le régime de protection environnementale au moyen d’un projet de loi budgétaire à la portée tentaculaire.
Des pétitions circulent. Des groupes et des syndicats organisent des manifestations ici et là. Des fonctionnaires, des retraités, des scientifiques, des avocats, des travailleurs saisonniers, des défenseurs des droits des réfugiés se font entendre dans les médias. Des groupes environnementaux préparent une journée de protestation sur la Toile. Le Nouveau Parti démocratique a tenu des assemblées publiques et lancé un babillard en ligne. Le Parti libéral a forcé le gouvernement à laisser plusieurs comités du Sénat tenir des audiences sur le projet de loi budgétaire (C-38). Les partis d’opposition multiplient les amendements pour étirer le processus en forçant la tenue d’un chapelet de votes. Tous ces gestes n’ont toutefois pas réussi à donner naissance à un mouvement coordonné qui, si c’est l’intention, pourrait arriver trop tard.
Car le gouvernement, lui, presse le pas et agit comme s’il était conscient que cette grogne, si elle dure, pourrait lui faire du tort. Il la prend donc de vitesse et essaie de la désamorcer depuis le début avec des messages extrêmement bien étudiés.
Il ne punit pas les prestataires d’assurance-emploi, il les aide. Il ne veut pas que le Canada soit moins accueillant, il veut seulement fermer la porte aux faux réfugiés. Il ne coupe pas les vivres aux artistes, il refuse de taxer les amateurs d’iPod et d’autres gadgets. Et à ceux qui s’inquiètent pour les revenus des retraités, il répète qu’ils s’en font pour rien puisque l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse ne changera pas de sitôt. Et s’il n’offre pas un portrait détaillé et complet des compressions budgétaires, c’est parce que de supposées règles gouvernant les conventions collectives l’en empêchent.
On noie le poisson tout en coupant court à l’étude des projets litigieux. Juste avant la dernière semaine de relâche parlementaire, le gouvernement a imposé le bâillon dans le dossier des droits d’auteur (C-11). Lundi, il a annoncé que le comité qui étudie le rapport du vérificateur général sur les F-35 n’entendrait plus de témoins et devrait remettre son rapport rapidement. Hier, il a adopté une motion limitant les deux dernières étapes de l’étude de la réforme très controversée du système de détermination du statut de réfugié (C-31).
Le Comité des finances entend actuellement des témoins sur le projet de loi budgétaire et un sous-comité se penche sur le volet environnemental du même projet. Mais ils le font avec le fusil sur la tempe. Le sous-comité doit compléter son rapport lundi prochain et celui des finances, trois jours plus tard, un échéancier qui a forcé tout le monde à entendre à la vapeur et en désordre des témoins trop souvent bousculés. (Lundi, 17 ministères et organismes ont comparu en même temps et pendant une période de trois heures devant le Comité des finances.)
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Ce rouleau compresseur est sans pitié, même pour les députés conservateurs. Non seulement ces derniers doivent-ils voter sans rouspéter pour le projet C-38, ils n’ont même pas été consultés à son sujet et ont pris connaissance de son contenu en même temps que les journalistes. On le sait parce qu’un député de la Colombie-Britannique, David Wilks, l’a avoué à des commettants outrés du caractère omnibus du projet de loi.
La vidéo de la rencontre, qui a circulé la semaine dernière, nous le montre partageant les préoccupations de ses électeurs et affirmant que d’autres députés conservateurs sont du même avis. Mais le plus frappant est le portrait sans vernis qu’il fait de son impuissance. Le cabinet décide. Les députés n’ont que 10 minutes pour parler au premier ministre lors de la réunion hebdomadaire du caucus. Et dans le cas du budget, un député ne peut, à lui seul, faire barrage. Il en faudrait une douzaine, poussés par leurs électeurs, note David Wilks, avant de lancer ce message : « Si les Canadiens veulent du changement, un nombre suffisant d’entre eux doivent se tourner vers leurs députés et dire non. »
Ce gouvernement, qui a toujours une relation difficile avec le Parlement, ne semble pas avoir beaucoup plus d’estime pour ses propres députés. Il les aime dociles, prêts à taire ce qu’eux ou leurs commettants pensent et, surtout, trop peureux pour se tenir debout ou se serrer les coudes devant une décision gouvernementale. On est à cent lieues de l’idéal réformiste du député porte-voix de ses électeurs.
Ce gouvernement impose sa loi sans vouloir discuter. Et il est déterminé à clore tous ces dossiers avant le congé estival, ce que sa majorité lui assure. Et s’il y parvient en ne provoquant que des vaguelettes à l’extérieur du Parlement, il conclura que son approche intimidatrice est la bonne - encore - et que son gage de succès est de récidiver.