#chroniquefd - L’insoutenable légèreté de l’être

La colère amène souvent l’humain à franchir les frontières de l’irrationnel, et les contestations sociales sur la place publique, ici comme ailleurs, en font régulièrement la démonstration.

En Inde, apprenait-on samedi dans La Presse, l’immolation par le feu connaît actuellement une forte croissance dans les franges oubliées de la population. L’autosacrifice par l’essence et le feu, un geste souvent fatal, y est désormais un moyen de dénoncer les injustices sociales, la vexation, l’humiliation au quotidien, et surtout de hurler sa peine contre des puissants qui ne font rien pour enrayer tout ça. Le désespoir, quoi, dans son insoutenable radicalité.


De la Birmanie au Yémen, de la Tunisie à l’Égypte, en passant par la Biélorussie, Bahreïn ou encore la Syrie - la liste n’est pas exhaustive -, les tensions sociales et les mouvements de foule qu’elles ont induits dans les derniers mois (et années) ont donné corps à ce genre de gestes irrationnels. Vrai : le Printemps arabe ne trouve-t-il pas son origine dans le suicide par le feu du jeune Tarek Bouazizi, vendeur ambulant, sur un marché de Ben Arous?


Dans ce cheptel de pays, la contestation se vit dans l’espace public comme privé, sous le règne de la répression musclée, du harcèlement des dissidents qui ont une trop grande gueule, des enlèvements, de la torture… et forcément, cela peut donner envie aux manifestants de craquer une allumette parce qu’ils ne sont plus capables de crier, de lancer des pavés dans les fenêtres d’un bâtiment public ou de passer à tabac un représentant des forces de l’ordre si l’occasion finit enfin par se présenter.


Quand le pain, le travail, la sécurité manquent. Quand les besoins élémentaires à la vie ne sont pas comblés. Quand les droits de la personne sont bafoués, que l’humiliation, l’angoisse s’immiscent dans toutes les strates de sa condition humaine, le pire peut facilement germer. Et sans trop forcer, on peut effectivement comprendre pourquoi.

 

À Victoriaville


À Victoriaville, ville tranquille et sans histoire du centre du Québec, où les actes de violence sont moins nombreux que les bacs à recyclage, ces conditions étaient loin d’être toutes réunies vendredi soir dernier. Et pourtant…


En début de soirée, au coeur d’une série de provocations, de gestes déplacés, d’agressions mettant en scène des policiers contre des manifestants - dans cet ordre et ce désordre -, un jeune homme a décidé de prendre une barre de fer. Il a sauté sur un agent de la Sûreté du Québec (SQ) et lui a asséné plusieurs coups à la tête. Non pas avec la tranche de l’objet, mais avec son bout.


L’irrationnel, capté au milieu d’un nuage de fumée, a roulé en boucle toute la soirée sur les ondes de RDI, qui a réussi à mettre en boîte ce moment fort. Le geste était troublant. Il a fasciné les foules autant par sa violence inouïe que par son décalage évident avec l’enjeu social à l’origine de tout ça : au même moment, le Parti libéral de Jean Charest tenait salon dans un hôtel de la ville. Autour, des étudiants dénonçaient une hausse importante des frais de scolarité lors d’une 12e semaine de grève.


L’injustifiable est toujours très facile à justifier, surtout en période de crise. L’agression de l’agent est survenue dans un climat de tension extrême alimenté autant par des jeunes en colère que par des policiers déterminés à les disperser au prix d’une agressivité tout aussi injustifiable. Il est question ici de balles de caoutchouc, de gaz, de blessures graves… en somme, un cocktail odieux et gênant dans la société confortable, pacifiste et pacifiée qu’est le Québec où, en 2012, quelle que soit l’importance de la cause sociale défendue, un jeune homme ne devrait pas avoir à perdre un oeil - ce serait arrivé à Victoriaville vendredi - et un policier ne devrait pas se faire tabasser à coups de barre de fer. Peu importe les raisons de la colère.


Dénoncer le système


Bien sûr, il y a peu de chance que l’homme à la barre ait pris part, la veille, à la marche pacifique des étudiants en sous-vêtements qui s’est tenue à Montréal. Elle témoignait d’une trop grande intelligence. Il y a, par contre, de grandes chances qu’il ait été attiré à Victoriaville pour « dénoncer le système » bien plus que la hausse des droits de scolarité, un système dont l’échec s’est bel et bien matérialisé, avec lui, dans l’image livrée en boucle sur RDI vendredi soir. Et pour cause.


En effet, dans des univers sociaux où les toits ne manquent pas sur les têtes, où le confort, tout comme le filet social, fait l’envie des voisins proches et des pays lointains incapables de traduire ces concepts dans leur langue, la frustration, la revendication a, bien avant la violence, l’immolation et le passage à tabac d’un policier, certainement d’autres voies pour s’exprimer : une chanson, un pamphlet, un livre, une pièce de théâtre, un poème, une oeuvre d’art… Et, bien sûr, l’atteinte de ce cadre idéal qui porte en lui ce grand rêve humaniste passe certainement par l’éducation et son accessibilité pour tous. Sans entraves, financières ou autre. Forcément.

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