Théâtre - Scènes de combat

C’est le dramaturge Fabien Cloutier (Scotstown, Cranbourne, Billy) qui disait que l’on ne peut plus aujourd’hui faire du théâtre « comme avant ». L’entrevue dans laquelle se trouvait ce passage ne disait rien permettant de dater à quand remonte précisément cet « avant », mais l’on peut penser qu’il correspond plutôt bien à ce mot lancé récemment par Jean-Claude Germain pour décrire un phénomène semblable : « Ras le bol des perruques ! »

« Avant » est donc ici une sorte de mot condensé qui fait penser à ce que devait être l’univers avant le big bang : un noyau dur, un mot impliquant beaucoup de choses - dont bien sûr des perruques et de beaux costumes - n’ayant pas beaucoup de rapports avec ce qui se passe « maintenant ». C’est une façon de parler d’un théâtre qui tient beaucoup plus du divertissement que de la « nécessaire prise de conscience ». Un théâtre qui a tout à fait le droit d’exister et qui se situe à la périphérie du divertissement de bon goût et de la marche de santé comme la télévision fragmentée en miettes qui ne vise plus qu’à cela, le cinéma Imax et le camping de fin de semaine dans un KOA. Dans le coin droit donc : le « vieux » théâtre dans son sympathique costume bariolé. Yeah ! Et dans le coin gauche celui dont parle Cloutier : le théâtre scène de combat !


Le théâtre qui met à mal. Qui dénonce, qui responsabilise. Qui, comme dans Billy à l’affiche de la Petite Licorne, montre à quel point le monde tout entier se construit sur des préjugés : sur nos préjugés. Un théâtre qui cogne, qui déculotte. Qui parle nos mots et qui met clairement en lumière le rôle que jouent nos façons de penser les plus intimes et les plus anodines… sur l’état général du monde. Nous sommes tous responsables de ce qui se passe, rien de moins ! Et nous pouvons changer le monde. Encore. Toujours. Partout. Puisque c’est ce que nous faisons chaque jour, de toute façon, à partir de nos préjugés. C’est précisément ce que dit Cloutier… et qu’il illustre clairement dans Billy.


C’est ce que nous disent aussi les élèves des écoles secondaires de Montréal, de Québec et de Gatineau qui ont participé à la mouture 2012 des Zurbains en faisant parvenir cette année seulement plus de 700 textes au concours d’écriture tenu à bout de bras par l’équipe du Théâtre Le Clou depuis 15 ans déjà. Dans ce grand cru assemblé de façon remarquable à l’affiche de la salle Fred-Barry jusqu’au 14 mai, quatre jeunes auteurs viennent nous raconter, aux côtés d’un pro - Martin Faucher cette année -, les angoisses qui les déchirent et qui ressemblent étrangement aux nôtres. Et là aussi, tiens, ce que l’on dénonce c’est l’indifférence et la violence larvée qui se cachent sous les préjugés les mieux ancrés de la société de consommation dans laquelle nous vivons.


Dans la même veine, on peut aussi dire que c’est ce que tente de faire Wajdi Mouawad - qui vient de s’installer au TNM avec Des femmes avant de gagner le Carrefour international de théâtre de Québec - en reprenant aujourd’hui les tragédies de Sophocle.


Comme si, au fond, le théâtre n’avait toujours été qu’une vaste scène de combat…

 

Théâtre et anarchie


Voyez comme nous avons de la suite dans les idées : la saison des festivals, qui s’amorce à peine alors que se termine la saison des saisons, nous ramène le Festival international de théâtre anarchiste de Montréal (FITAM) qui aura lieu les 15 et 16 mai, autour de la Sala Rossa, boulevard Saint-Laurent. Comme à l’habitude, on y propose des discussions, des soirées de poésie et de spoken word le tout pimenté d’une série de spectacles de « théâtre anarchiste »… ce qui est déjà en soi plutôt curieux. Bonne nouvelle : le programme est particulièrement chargé cette année.


Le mardi 15, le FITAM propose trois spectacles. D’abord On arrête tout, on réfléchit et c’est pas triste, une production du collectif les Esprits solubles de Lyon inspirée de L’an 01 de Gébé (dont les vieux freaks se souviendront sans doute) ; aux dernières nouvelles, on cherchait encore des participants. Puis, l’artiste multidisciplinaire Paul Grégoire présente Le pigeon voyageur, un « conte théâtral, musical et sculptural ». Ensuite, après des légendes vivantes du théâtre anarchiste comme le Living Theater et le Bread and Puppet Theatre, voilà cette année une autre compagnie américaine au nom irrésistible : le Tooth and Nail Puppetry Front de Burlington, Vermont, qui s’amène avec Texas Annie. Ce spectacle qui s’apparente au théâtre de rue chanté (cantastoria) raconte une histoire de libération sexuelle… La soirée se terminera avec Subversions 2 : Cabaret anarchiste concocté par le Bloc des auteur-e-s anarchistes.


Le mercredi, c’est rebelote, comme disent les cousins. On commence avec un spectacle en anglais On the Sea de Slawomir Mrozek monté par la compagnie philippine Dulaang. Puis, Paris-banlieue du plasticien Tom Nanty, qui trace un parallèle qu’on dit troublant entre Montréal et Paris, fait place à Anar-écoute, une comédie psycho-pop des Anarchistes anonymes. Le tout prendra fin avec une autre production anglophone Emma Goldberg, Where Are You Now ? de la compagnie All the Fixings qui sera suivi de Science Vie, Madame du collectif montréalais No fun marguerite affilié au Radical Capitaine Bateau basé en France. Ces quatre spectacles garantis « anarchistes pur sucre », « pauvres » et, disons-le, bon enfant, sont offerts, comme ceux du mardi, à compter de 19 h 30 et pour la somme anarchiquement ridicule de 12 $. Qu’on se le dise !

 

En vrac


À compter de demain à 20 h, l’École supérieure de théâtre de l’UQAM présente 20 Crises, une création originale de Mathieu Hébert qui se penche sur « le passage de l’enfance à l’âge adulte ». Le communiqué parle de la pièce comme d’« une vitrine décrivant les hauts et les bas de la génération Y ». Cette production libre réalisée par les finissants des profils Jeu, Scénographie et Études théâtrales est aussi présentée à 20 h jeudi avec rencontre prévue avec l’équipe du spectacle, puis à 14 h et à 20 h vendredi et enfin à 14 h, samedi. Comme d’habitude, la production des finissants est présentée au Studio-théâtre Alfred-Laliberté (J-M500) du pavillon Judith-Jasmin. L’auteur assure la mise en scène et dirige Ariane Baril Allard, Noémie Longpré, Marie-Chantal Nadeau, Patrick R. Lacharité, Antoine Regaudie et Emmanuel Robichaud. Le prix des billets, disponibles à la billetterie de l’UQAM, est fixé à 5 $.


Hurtubise et Petits bonheurs : même combat ! Depuis quelques années déjà, le festival Petits bonheurs parraine l’événement Lire ensemble avec les Tables de concertation enfance-famille et jeunesse Hochelaga-Maisonneuve et la Fondation pour l’alphabétisation. L’an dernier, on s’en souvient, Lire ensemble a eu l’idée un peu saugrenue de convoquer les pères des tout-petits de l’arrondissement dans une taverne autour de livres sur le sport. Cette année, changement de décor complet : les éditions Hurtubise offriront aux nombreux enfants qui visitent le festival des petites bibliothèques portatives placées dans différentes zones d’attente. Ces livres placés à des endroits stratégiques permettront aux petits et aux grands de patienter en attendant l’ouverture des portes tout en se racontant des histoires. Quelle belle idée !

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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