Guerre contre la drogue - Les Amériques en quête d’une autre stratégie

Manifestation la semaine dernière à Mexico pour la légalisation de la marijuana
Photo: Agence France-Presse (photo) Yuri Cortez Manifestation la semaine dernière à Mexico pour la légalisation de la marijuana

Faute d’accord sur une solution rechange à la « guerre contre la drogue », les chefs politiques des Amériques ont convenu à Carthagène d’une étude sur la réforme d’une stratégie dont l’échec est devenu manifeste. Après des milliards d’aide militaire américaine et le démantèlement de vieux cartels, le narcotrafic qui alimente l’Amérique du Nord, loin d’avoir disparu, sape maintenant l’Amérique centrale. Même le Mexique ne vient pas à bout des trafiquants sanguinaires qui font la loi dans une partie du pays.

Devant ce cauchemar grandissant, des leaders sud-américains voudraient qu’une stratégie plus nuancée soit adoptée, qui priverait ces organisations criminelles du marché lucratif qu’elles trouvent au nord, essentiellement aux États-Unis et au Canada. Or, bien que Washington et Ottawa aient également échoué dans leur lutte contre la consommation illégale sur leur propre territoire, la même politique de répression continue d’y prévaloir.


Mais y a-t-il une solution ? La « guerre contre la drogue », son efficacité et ses résultats ont fait l’objet d’autres études. L’éradication de cultures illégales n’a pas supprimé la production de la cocaïne, mais l’a déplacée en d’autres régions. La répression du trafic et de la possession de drogue n’a pas, non plus, réduit le nombre des consommateurs, au contraire. Par contre, la décriminalisation a entraîné, dans les pays européens qui ont choisi cette politique, une baisse significative.


Une des solutions consiste à décriminaliser la consommation de drogues « populaires » - comme la marijuana, que de simples producteurs locaux pourraient offrir - tout en continuant de combattre, dans les pays consommateurs, les mafias qui contrôleraient alors les seules drogues « dures ». Les milliards actuellement perdus dans la guerre contre les narcotrafiquants seraient plutôt investis dans la police, dans l’éducation des consommateurs et, surtout, dans le traitement des toxicomanes.


L’ancienne prohibition des alcools aux États et au Canada est souvent donnée en exemple de stratégie moralisatrice qui n’a pas dissuadé les consommateurs de boire, mais permis le développement d’organisations criminelles qui ont prospéré et sévi longtemps après la révocation de cet interdit. Ne devrait-on pas, aujourd’hui, apprendre à consommer avec modération ces produits « ludiques », dont le commerce, devenu légal, enrichirait l’État plutôt que la mafia ?


À vrai dire, l’alcool n’a pas été complètement civilisé, ni même contrôlé. Au Québec, par exemple, il cause chez trop de gens une maladie encore difficilement guérissable. Un monopole d’État prône la consommation de ce produit plus qu’il n’y favorise la « modération ». Des milliers de jeunes périssent sur les routes depuis qu’un cabinet « progressiste » en a étendu le privilège aux adolescents. D’autres drogues auraient sans doute des effets tout aussi négatifs si on les rendait légales.


En pays riche, peut-on croire, grâce à une stratégie plus « nuancée », on ferait la vie plus dure aux organisations criminelles. Les toxicomanes pourraient enfin s’arracher à leurs griffes (en attendant des traitements efficaces contre la dépendance). Et, à plus long terme, si les autres consommateurs boycottaient les fournisseurs sans scrupules en voie d’infiltrer toute la société, on pourrait même priver le narcotrafic mondial de son principal marché d’exportation.


Toutefois, en pays pauvre, le recul du marché ne ferait pas disparaître pour autant les milieux qui en vivent. Ainsi, en Afghanistan, premier producteur mondial d’opiacés, les paysans plantent encore le pavot, car l’OTAN craint qu’ils ne passent autrement du côté des talibans. En Birmanie, deuxième pays producteur, un gouvernement pro-occidental envoie les forces de l’ordre détruire les plants, mais les centaines de milliers de paysans qui en vivaient auront-ils bientôt de quoi subvenir à leurs besoins ?


Pire encore, en Afrique de l’Ouest, en Amérique centrale, plus d’un régime « ami » du temps de la guerre froide, ayant perdu les subventions occidentales, s’est recyclé dans le trafic de la drogue. Là où ce trafic ne sera plus possible ou rentable, présidents pourris, policiers corrompus, trafiquants au chômage ne se convertiront pas à l’entrepreneuriat honnête. Ne vont-ils pas plutôt enlever des touristes, « taxer » leurs compatriotes et, comme déjà au Mexique, démembrer les corps de leurs concurrents ?


Bref, quelle que soit la stratégie retenue, elle ne saurait, dans un marché aussi lucratif, permettre un jour d’éliminer cette plaie à moins que l’on trouve aussi une réponse victorieuse aux conditions qui en expliquent la propagation. Pauvreté de populations paysannes, tolérance des États à l’égard de mafias, laxisme moral de classes aisées au regard des paradis artificiels, connivence des banquiers du narcodollar, tous ces milieux ont contribué à l’émergence d’une économie mondiale de la drogue.


Comme d’autres guerres, la guerre contre la drogue aura également eu ses manipulateurs politiques, tel le président Richard Nixon, qui en avait fait un instrument de sa propagande, ou ces dirigeants civils et militaires de pays producteurs, trop heureux de troquer leur appui apparent contre des milliards bien réels, sans parler de ces états-majors incompétents, parfois disposés à fournir des armes à des forces alliées qui les revendent aux trafiquants !


Un autre monde est-il possible ? En attendant, alors que le Canada se prépare à jeter en prison les gens surpris en possession de quelques plants de pot, le Québec s’éveille aux caisses électorales arrondies avec l’argent de la drogue. Misère.

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