Faire accroire
Et si toutes les analyses, toutes les opinions publiées, déclarées, affirmées comme parole d’Évangile rataient la cible sur la crise actuelle au Québec ? Et si Ross Finnie, chercheur à l’Université d’Ottawa dont l’objet d’étude porte sur l’accessibilité à l’université, avait raison ? Ses recherches l’amènent à conclure que ça n’est pas d’abord par manque d’argent au Québec qu’on ne va pas à l’université mais bien plutôt à cause du peu d’importance que l’on accorde à l’éducation supérieure. Cette semaine, on pouvait lire dans La Presse des chiffres du professeur Finnie qui, sauf aveuglement, déstabilisent. En comparant le revenu parental en Ontario et au Québec, on est à même de découvrir une réalité brutale.
Dans la tranche des revenus familiaux entre 5000 $ et 25 000 $, 39 % des jeunes en Ontario vont à l’université contre 18 % au Québec. Entre 25 000 $ et 50 000 $, 34 % des jeunes en Ontario fréquentent l’université contre 20 % au Québec. De 50 000 $ à 75 000 $, les étudiants universitaires sont 43 % en Ontario et 28 % au Québec. Et même au-dessus de 100 000 $ de revenu parental, l’Ontario domine avec 62 % d’étudiants contre 55 % au Québec.
Des chiffres encore ? Parmi les jeunes de 22 ans à travers le Canada, 42 % au Canada anglais fréquentent l’université alors qu’au Québec ils ne sont que 30 %. Des chiffres encore ? Il en coûte en moyenne 20 404 $ au Canada anglais pour obtenir un diplôme universitaire alors qu’au Québec le chiffre est de 6504 $.
Depuis onze semaines, les tenants du gel des droits, dont une partie non négligeable revendique en fait la gratuité totale jusqu’à l’université, nous expliquent que tout dégel sera catastrophique, socialement criminel, pour les jeunes de milieux défavorisés ou de la petite classe moyenne qui ne pourront plus espérer voir les portes du haut savoir s’ouvrir devant eux. Pourquoi l’argent serait-il au Québec la première ou l’unique explication de la plus faible fréquentation universitaire, alors que nos droits de scolarité sont les plus bas ?
Et si l’éducation si chère aux Québécois depuis la Révolution tranquille n’était en fait qu’une valeur de façade qu’on fait brandir comme le drapeau ou la langue, si malmenée par ailleurs ? Dans une chronique antérieure, nous avions cité des Anglo-Québécois qui constataient les différences de mentalité entre francophones et anglophones sur cette question. Les parents anglophones avaient tendance, disaient-ils, à aider leurs enfants soit en assurant de les prendre en charge à la maison jusqu’à la fin de leur diplôme, soit en les aidant financièrement s’ils en avaient les moyens. Ces propos avaient suscité des réactions scandalisées de la part de lecteurs incapables d’accepter qu’on mette en doute le supposé culte voué à l’éducation tel que claironné sur les toits.
Répétons-le encore et toujours. Les gens instruits suscitent de la méfiance dans une partie importante de la population. La culture s’affiche mal ou alors elle doit revêtir les oripeaux d’un populisme certain. Des intellectuels qui s’expriment dans une langue soutenue, citant des auteurs classiques, ou pire encore, utilisant un vocabulaire recherché, sont vite considérés comme snobs ou prétentieux. Le Devoir à cet égard est perçu comme élitiste et de ce fait inaccessible à plusieurs simplement parce que, de plus, il s’abstient de pratiquer un sensationnalisme tendance pop branché dans ses pages.
L’éducation n’est pas au coeur de nos préoccupations, tant s’en faut. La preuve en est que c’est l’argent, et non le contenu des cours, les failles de la formation générale, la qualité des diplômes, des maîtres et des gestionnaires et les exigences pédagogiques, qui a présidé à ce boycottage des cours qu’on s’acharne à appeler « grève », onze semaines, quarante millions de dollars et quelques émeutes plus tard.
Mais pourquoi donc les jeunes Québécois fréquentent-ils moins l’université que les jeunes du Canada anglais même lorsqu’ils sont issus de milieux favorisés ? Le goût d’apprendre, le désir du dépassement de soi, la curiosité intellectuelle, l’ambition ne leur seraient donc pas transmis avec suffisamment de conviction par les parents, l’école et la société tout entière. Ne faut-il pas établir aussi un lien entre ce déficit, culturel à vrai dire, et le taux de décrochage scolaire si lamentablement élevé ? Serait-ce le poids du passé où nous étions porteurs d’eau, comme le chante Félix, qui pèse encore malgré la Révolution tranquille, fer de lance de la révolution éducative dont on croyait qu’elle transformerait à jamais notre rapport à la connaissance sans laquelle un peuple n’a pas d’avenir enchanté ?
Le plus triste dans cette décompression sociale dont nous sommes témoins et qui transforme certains étudiants en émeutiers, c’est de constater que des jeunes de vingt ans s’autoflagellent de la sorte, assurés qu’ils sont de défendre des idéaux. Car il est évident qu’en faisant sauter leur session, perdant ainsi leur emploi d’été, ils compromettent ou retardent leur entrée dans le monde du travail, c’est-à-dire dans la vie adulte. Le gouvernement aurait cédé à leur demande de gel dans les premiers jours qu’ils seraient rentrés en classe et que la CLASSE n’aurait pu connaître l’enivrement actuel de préparer le grand soir sous les bravos des nostalgiques de 1968, ces « adulescents » qui refusent le dur principe de réalité.