La ministre se mouille

Ma grand-mère Marie-Louise disait: «Si tu te comportes comme un mouton, il ne faudra pas te surprendre d'être tondu.» C'est bien ce que semblent avoir compris les étudiants et étudiantes qui marchent dans les rues des grandes villes depuis des semaines en réclamant que le gouvernement Charest renonce à la hausse annoncée des droits de scolarité, mais également que la ministre les rencontre pour discuter spécifiquement de ce sujet et de l'administration des maisons d'éducation au Québec. Pas question pour eux de jouer les moutons.
La ministre a choisi de prendre l'affaire de haut depuis le début. Elle a annoncé d'un ton plus que ferme que le gouvernement avait pris sa décision et qu'il n'était pas question de la mettre en doute ni même d'en discuter. Hier matin, elle a convoqué la presse pour faire une toute petite ouverture au sujet des prêts et bourses, avec une proposition qui maintiendrait tout de même les étudiants dans l'endettement pendant des années.La veille, mercredi, s'adressant aux journalistes, elle avait insisté pour dire qu'elle avait toujours été prête à discuter d'une possible amélioration des prêts et bourses et que «sa porte était toujours ouverte». Au même moment, trois manifestations se mettaient en marche à Montréal, à Sherbrooke et à Québec même. Pensant sans doute que les manifestants de Québec s'en prendraient à l'Assemblée nationale qui était pourtant déjà barricadée, les autorités ont décidé de fermer toutes les portes de la maison du peuple à clé, un événement assez rare il faut bien le dire. Étrange époque.
Pourtant, malgré l'impasse dans laquelle tout le monde semble se trouver après plus de six semaines de grève, l'éducation de la rue fait son chemin. À Sherbrooke, on pouvait lire sur une pancarte: «On sait marcher, mais on sait aussi voter.» La solidarité de la rue semble former la jeunesse. Celle-ci y apprend en accéléré comment la vie fonctionne, comment la politique intervient dans nos vies et surtout, qu'il ne faut jamais renoncer à demander justice. Cela, elle le saura pour toujours.
Pour ma part, je les trouve allumés ces étudiants. Ils savent s'organiser, expliquer leur point de vue, dire leurs besoins. Ils sont en train de vivre une expérience qui sera certainement déterminante pour plusieurs d'entre eux. En les regardant marcher au pas, je me suis mise à penser qu'il y avait parmi eux peut-être une prochaine ministre de l'Éducation ou un ministre de la Santé ou encore un ministre de la Justice qui auront couvert pas mal de terrain avant d'édicter des règlements et des lois. Ils dirigeront un Québec nouveau qui aura sans doute tendance à marcher le dos bien droit plutôt qu'à plier l'échine au moindre coup de vent.
L'ère du mouton, qui a fait tant de ravages au Québec, pourrait bien prendre fin avec cette nouvelle génération. Mais pour que ça se réalise, nous, les parents et les profs, devons veiller à ce qu'ils reçoivent l'éducation la plus stimulante qu'on puisse leur donner. Et qu'enfin, tous ceux et celles qui ont un vrai talent puissent y avoir accès sans égard à la richesse des parents. Alors là, seulement là, nous aurons droit à une véritable pépinière de diplômés prêts pour la relève.
Ils ont été vexés que les autorités les traînent devant les tribunaux ou qu'on permette aux policiers d'arrêter certains d'entre eux. Encore heureux que tout le monde soit resté calme durant toutes ces manifestations, car il n'y a rien de pire pour alimenter le feu de la colère que les abus dont on est victime. L'impasse est réelle. Mais tout le monde sait que la violence ne réglerait rien. Au contraire.
Quand cet affrontement sera terminé (car il se terminera certainement), ce qui me rassurerait tout à fait serait d'entendre quelques-uns de ces jeunes annoncer qu'ils vont former un parti politique pour continuer l'action qu'ils ont menée depuis des mois. Un parti à eux. Pas la section jeunesse d'un autre parti. Un parti qui leur permettrait de jouer un rôle sur le plan politique comme ils choisiront de le faire. À eux de décider s'ils sautent dans l'arène politique ou s'ils servent de laboratoire d'idées pour assumer pleinement l'espace de la société qui leur appartient.
Bien sûr, nos jeunes sont porteurs d'espoir. Dans cette société où on adore partout le veau d'or, où l'argent a pris toute la place, où on peut gagner 10 millions de dollars par année en salaire sans ressentir une petite gêne, où on dit que chaque individu a son prix et que tout s'achète, où on s'entre-tue pour régner sur un empire, où on vend sa réputation pour obtenir de l'avancement et avoir accès à «la grosse argent», les jeunes du Québec pourraient représenter une bouffée d'air frais.
Quand la ministre dit que sa porte est ouverte, je finis toujours par me demander si son esprit, lui, est ouvert. Est-ce que son coeur est ouvert? Est-ce que ses yeux sont ouverts? Bonnes questions.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.