Miner son champ
Une semaine avant l'entrée de Brian Topp dans la course à la direction du NPD en septembre 2011, le journal Hill Times publiait une entrevue avec Ed Broadbent dans laquelle il se réjouissait de voir les libéraux en perte de vitesse et disait que la solution pour contrer les conservateurs était un ralliement derrière la bannière néodémocrate.
M. Broadbent notait que certains libéraux se sentaient davantage chez eux au NPD qu'au Parti conservateur. «Venez et joignez-vous à nous. Tom Mulcair l'a fait. Françoise Boivin l'a fait. Ils ont quitté le Parti libéral et ont joint le NPD. Je pense que c'est la voie à suivre pour les sociaux-démocrates.»Six mois plus tard, le même Ed Broadbent est sur toutes les tribunes pour pourfendre le même Thomas Mulcair et prévenir les néodémocrates des dangers qu'il représente pour leur parti. Sur les ondes de la CBC, jeudi dernier, il affirmait ne pas savoir si M. Mulcair comprenait ce qu'est la social-démocratie. À Postmedia News, ce week-end, il en rajoutait, affirmant qu'il en allait de l'avenir même du NPD. Rien de moins.
Partisan de Brian Topp, M. Broadbent ne craint pas seulement de voir le parti poussé vers le centre par M. Mulcair, mais de le voir se transformer en «un autre Parti libéral. Et ce serait, après un court laps de temps, la fin du NPD et de tout ce qu'il défend».
Ed Broadbent dit être sorti de sa réserve après avoir entendu Thomas Mulcair s'attribuer faussement le mérite de la percée du NPD au Québec, le 2 mai dernier. Il doute aussi de ses qualités de rassembleur et en veut pour preuve le fait, affirme-t-il, que 90 % des députés d'expérience soutiennent d'autres candidats que lui.
M. Broadbent répète à qui veut l'entendre que ce sont Jack Layton et sa garde rapprochée, dont faisait partie Brian Topp, qui ont conçu une «stratégie cohérente pour le Québec avant qu'une personne du nom de Tom arrive» et que c'est cette même organisation qui a permis à M. Mulcair de se faire élire pour la première fois à la Chambre des communes lors d'une élection partielle tenue en 2007.
***
Pour un homme qui s'inquiète de l'avenir de son parti, Ed Broadbent se livre à un jeu très dangereux. Il alimente la division et rend plus difficile la réunification du parti après le vote du 24 mars. À plus long terme, c'est du napalm pour publicité négative que M. Broadbent vient d'offrir aux conservateurs et aux libéraux, advenant une victoire de M. Mulcair.
Il est par ailleurs ironique que cette peur de Thomas Mulcair vienne du camp de Brian Topp, le même qui, pour le NPD, a piloté les discussions qui ont mené à l'accord de coalition avec le PLC et le Bloc québécois à l'automne 2008. Et c'est Ed Broadbent qui, au printemps 2010, aurait jonglé avec l'idée d'un rapprochement avec les libéraux, une idée qu'il écarte vigoureusement depuis le 2 mai dernier.
Difficile, dans ce contexte, de ne pas voir cette charge comme une attaque personnelle contre M. Mulcair, comme le signe d'une certaine panique dans le camp Topp et d'une peur de l'establishment de perdre le contrôle du parti. Un signe aussi de la résistance de certains à tout compromis idéologique pour permettre aux progressistes de prendre le pouvoir.
***
Plus décevant encore de la part de M. Broadbent est la malhonnêteté intellectuelle de certains de ses propos. Il est faux de dire que la quasi-totalité des vétérans du caucus a préféré les autres candidats. Parmi les 32 députés d'expérience qui ont été réélus, 20 se sont prononcés jusqu'à présent, dont six pour M. Mulcair, cinq pour M. Dewar et quatre pour M. Topp.
Par ailleurs, M. Mulcair ne s'attribue pas tout le mérite des gains du 2 mai dernier, mais une bonne partie, et à raison. Sa première victoire dans Outremont est la sienne. Il était porté par la vague de popularité que lui ont valu ses positions environnementales et son départ du cabinet Charest. Tous les partis le savaient et le courtisaient. Peu importe l'organisation mise en place par le NPD, il n'aurait jamais arraché la forteresse libérale d'Outremont sans une tête d'affiche.
Et une fois élu, Thomas Mulcair a donné au NPD une voix et un visage familiers au Québec, ce qui a permis de bâtir lentement, mais sûrement, sa crédibilité. M. Broadbent, tout comme les candidats Brian Topp, Peggy Nash, Paul Dewar et Niki Ashton, fait une erreur d'évaluation ahurissante quand ils affirment que le parti a gagné au Québec en restant lui-même et qu'il suffit de répéter la même chose pour percer ailleurs.
C'est nier la réalité. Le NPD a profité d'un alignement unique des astres: familiarité nouvelle avec le parti, ras-le-bol des Québécois face aux partis traditionnels, désir d'une solution de rechange progressiste aux conservateurs et présence d'un chef charismatique menant une campagne impeccable. Oui, il y a eu un effet Layton.
Le programme et les politiques du NPD ont été secondaires. L'organisation encore plus. Quelques députés ont été élus sans mettre les pieds dans leur circonscription. Ceux qui ont fait campagne, et c'est la très grande majorité, l'ont fait sans moyens ni association locale digne de ce nom. Ne pas le reconnaître équivaut à avouer qu'on n'a rien compris à ce qui se passait au Québec et qu'on ne le comprend toujours pas.
Toute cette affaire donne l'impression que dans le camp Topp, ce n'est plus «n'importe qui sauf Mulcair», mais «après moi le déluge».