Théâtre - Voir (et revoir!) Les aveugles
L'automne dernier déjà, alors qu'il fignolait la mise en scène d'Oulipo show, présenté à l'Espace Go, Denis Marleau parlait des célébrations entourant le 30e anniversaire de sa compagnie, Ubu. Voici que nous en approchons un moment-clé, la présentation de l'une des productions les plus marquantes de toute la carrière de Marleau: Les aveugles reprend en effet l'affiche du Musée d'art contemporain de Montréal (MACM) dès demain et jusqu'au 11 mars.
Si vous n'avez pas vu cette «fantasmagorie» lors de sa création au même endroit en 2002, il faut vous y précipiter pendant qu'il est encore temps. La création des Aveugles marque effectivement la carrière de Denis Marleau et l'histoire d'Ubu. À ce jour, on a joué plus de 700 fois à travers le monde cette oeuvre qui aura permis au metteur en scène de «reformuler» et de «redéplier ses obsessions personnelles», comme il nous le confiait lors de la même entrevue.Ce texte, jusque-là plutôt méconnu, de Maurice Maeterlinck repose sur les images vidéo des visages multipliés de Céline Bonnier et de Paul Savoie. Maeterlinck se méfiait, on le sait, de l'interprétation que les acteurs pouvaient donner de ses textes. Ici, il a poussé la contrainte assez loin en racontant l'histoire d'un groupe d'aveugles égarés sur une île en pleine nuit... ou en plein jour peut-être. Marleau en a profité pour remettre en question la présence physique de l'acteur sur le plateau comme il avait commencé à le faire avec l'oeuvre de Pessoa... Sa mise en scène réussit à donner à l'oeuvre une portée aussi troublante qu'insoupçonnée. Il n'y a devant nous sur scène que des visages tendus sur le noir, que des images différentes des deux mêmes comédiens articulant les répliques de Maeterlinck. Mais tout au long, tendus, pris dans l'épaisseur du drame, nous sommes bien au théâtre et pas du tout au cinéma...
Il faut signaler aussi que Les aveugles marque l'arrivée de Stéphanie Jasmin chez Ubu. Avec son approche vidéo, c'est elle qui a révolutionné le travail de Denis Marleau qui, par la suite, a continué à explorer la technique et produit toute une série de «fantasmagories» toutes plus concluantes les unes que les autres. Marleau a ainsi approché «fantasmagoriquement» Beckett (Comédies présentée en 2004 à l'Espace Go) et Thomas Bernhard (Une fête pour Boris créée en 2009 au FTA puis jouée à Avignon) tout en abordant les univers de Sénèque (Agamemnon montée à la Comédie française en mai dernier) et même Jean-Paul Gauthier, dont il a récemment mis en scène l'exposition au MBAM...
Soulignons en terminant que tous les billets sont déjà vendus pour certaines représentations et que des versions anglaise et espagnole du spectacle sont aussi offertes. L'on trouvera l'horaire détaillé des représentations sur le site du MACM (www.macm.org/activites/les-aveugles).
Comptabilité créative
Si l'on fait exception des oeillères qu'elle enfile lorsqu'elle se penche sur le dossier du français à Montréal, Christine St-Pierre, la ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, se débrouille plutôt bien. D'ailleurs, dans le «milieu», elle a presque bonne réputation. Rien ne justifiait donc l'exercice de «comptabilité créative» auquel elle s'est livrée à RIDEAU la semaine dernière en commentant les chiffres publiés ici même dans cette chronique.
La ministre a en effet fait savoir que le budget accordé à la politique de diffusion de son ministère était de 5,9 millions, et non de 3,7 millions de dollars. Personne chez les diffuseurs que je connais n'a pu vraiment m'expliquer cette augmentation opportune, mais convenons du fait que, pour diffuser tous les spectacles de tous les arts de la scène sur tout le territoire québécois, on ne criera quand même pas à l'abondance. C'est plus tard dans son allocution, lorsqu'elle a parlé d'un budget de 36 millions de dollars, toutes origines confondues, pour la diffusion de la culture qu'elle aurait pu «beurrer encore plus large». En rajoutant les salaires des chauffeurs de camion, des pompistes et des vendeurs de poutine qui jalonnent le circuit des tournées, on aurait facilement pu atteindre les 50 millions de dollars.
Le plus étonnant, c'est que personne dans la salle, pourtant remplie de diffuseurs connaissant bien le dossier, n'a eu l'idée de réagir à cette dernière affirmation comparant des pommes et des oranges. Pas même le président-philosophe de l'organisme...
En vrac
En tournée. Depuis ce matin 9h30 et jusqu'au 4 mars avec quelques trop rares représentations tous publics, nos lecteurs de Québec ont la chance d'assister à un spectacle exceptionnel aux Gros Becs. Il s'agit de Princesse K, un «conte à bijoux» écrit et mis en scène par Denis Athimon, un ancien du Bouffou qui dirige maintenant le Bob Théâtre. Il a pris la bonne habitude de promener ses spectacles chez nous: Princesse K a ainsi été présenté à Coups de théâtre en 2010 et prendra l'affiche des Trois jours de Casteliers au théâtre Outremont, plus tard en mars. Soulignons également que le Théâtre Motus, lauréat du Prix Accès culture 2011, amorcera une tournée avec Pour en finir avec... Cyrano ! «une création qui propose de réinventer le classique d'Edmond Rostand pour le simple plaisir de le partager avec les 14 à 99 ans». Le spectacle s'arrêtera à la Maison de la culture Pointe-aux-Trembles, samedi à 20h.
Prix RIDEAU. Voici la liste des prix attribués la semaine dernière lors de la clôture de la 25e Bourse Rideau. Les prix RIDEAU/SIRIUS XM, assortis d'une récompense de 5000 $, ont été remis au Centre culturel de l'Université de Sherbrooke (prix du Diffuseur) et au Théâtre Hector-Charland (prix Initiative) alors que le prix Partenariat revenait au Centre culturel de l'Université de Sherbrooke et au Théâtre Centennial pour la Série danse à Sherbrooke. Le prix de la tournée a par ailleurs été remis à la compagnie Bouge de là pour L'atelier; le prix Radarts à Salomé Leclerc — lauréate aussi du prix des diffuseurs européens —, qui sera invitée à se produire lors de la prochaine FrancoFête en Acadie et dans une dizaine de lieux en Europe; le prix ROSEQ revient à Matt Anderson et à D'Harmo, qui présenteront leur spectacle lors d'une rencontre professionnelle organisée par le ROSEQ l'an prochain. Le prix SMIQ: FOXTROTT revient aux organismes Art dans la Ville et ROCQ (une organisation québécoise pour le réseautage culturel); Daran reçoit le prix Accès culture alors que le groupe Isabeau et les chercheurs d'or s'en voient attribuer deux: celui du développement international, qui permettra de réaliser une tournée à l'extérieur du Québec, et le prix Étoiles Galaxie, qui récompense l'audace et la qualité du projet artistique d'un artiste en émergence. On a enfin attribué les prix Solotech à Ville d'Alma spectacles, LOJIQ francophonie à la compagnie de théâtre Joe Jack et John, LOJIQ monde à Théâtre à Bout Portant, le prix Résidence-Ville de Québec à Mark Berube and The Patriotic Few et le prix Cirque du Soleil à la slameuse Queen Ka, soulignant ainsi son audace et la qualité artistique de son spectacle. Oufffffff.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.