Noël conformiste

Quand il s'agit de problèmes impliquant des immigrants, les Québécois ont tendance à s'identifier à l'éléphant dans une ménagerie de verre. Ils ont peur de briser les lieux où ils sont tout de même aussi chez eux. Ils craignent de s'affirmer et de paraître de ce fait comme des dominateurs dont l'intolérance la disputerait à la xénophobie.

Les Québécois, au fil des décennies, ont remplacé leur idéal de pureté rattachée à l'éducation religieuse par une rectitude politique qui n'est rien d'autre qu'un vieux complexe d'infériorité collective maquillé en cette nouvelle vertu qu'est le conformisme social. Bref, c'est peu dire que, face aux problèmes suscités par les comportements de certains immigrants avec leurs exigences et leurs jugements sur la société d'accueil, les Québécois marchent sur des oeufs en souhaitant trop souvent se retirer sans mot dire sur la pointe des pieds.

Cette semaine, nous avons été à même de constater encore une fois cet état d'esprit grâce aux articles de nos confrères de La Presse sur la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) dans sa façon de traiter les cas qui lui sont soumis et qui impliquent des immigrants. Ceux, bien sûr, dont la culture d'origine vient fracasser de plein fouet certaines des valeurs qui nous servent (encore?) de références identitaires. Un jeune est battu régulièrement et avec violence par ses parents? Une jeune fille est gardée prisonnière dans la maison pour l'empêcher de sortir avec des garçons de son choix? Une autre risque d'être mariée de force à un homme choisi par le père?

Deux tendances se dégagent parmi les intervenants de la DPJ. Dans un cas, on veut sortir le jeune de sa famille comme on le fait parfois tout en accusant le parent fautif; dans l'autre, on tient compte de la culture d'origine de ces parents et dans certaines circonstances on préfère ne pas appliquer la Loi de la protection de la jeunesse. Certes, ces exemples ne sont qu'indicatifs et il faut y introduire toutes les nuances que suppose ce genre de situation. Cependant, une chose apparaît clairement: la tentation communautariste est dangereusement présente dans l'approche de la DPJ, qui a désormais recours à des spécialistes formés en psychologie, en psychiatrie et en service social, originaires de cultures différentes et qui eux-mêmes divergent quant au regard posé sur leur culture d'origine.

Une musulmane laïque, toute bardée de diplômes, n'aura pas tendance à accepter la notion de mariage forcé alors qu'une autre se réclamant de sa religion et d'obédience traditionaliste sera plus «compréhensive», voire complaisante face à des actes parentaux en contradiction avec nos valeurs «locales», dont on estime dans la perspective humaniste qu'elles sont universelles.

En ce sens, il est désormais impossible de nier que les Québécois de souche sont moins enclins à entendre les immigrants, majoritaires ne l'oublions pas, qui partagent nos valeurs communes que les immigrants se réclamant de leurs différences religieuses, souvent fondamentalistes, pour remettre en question nos lois, règlements et valeurs communes. Ce sont les juifs hassidiques, les islamiques, les Témoins de Jéhovah ou d'autres sectes chrétiennes qui revendiquent des accommodements qu'on a eu la mauvaise idée de qualifier de raisonnables et qui désormais sont entrés de plain-pied dans le vocabulaire courant. Ce sont des irréductibles religieux ou incroyants qui ont réussi à faire disparaître la crèche à l'entrée de Mont-Royal, traditionnellement habitée par une minorité importante de Québécois juifs qui n'a jamais estimé y voir là quelque problème.

Pourquoi la majorité des Québécois devient-elle si nerveuse, si frileuse, si obséquieusement impatiente à répondre favorablement aux extrémistes religieux non catholiques, précisons-le, alors qu'elle semble si agressive et même intolérante face à ceux de nos compatriotes qui osent se définir catholiques pratiquants? Ces derniers, soulignons-le, expriment peu d'exigences particulières, sinon celles d'être respectés et non ridiculisés.

Pourquoi dans ses institutions publiques la majorité des Québécois se laisse-t-elle imposer des règles de rectitude politique qu'elle prétend désavouer si on en croit les sondages? Et que dire aussi de ce psychodrame chaque fois que s'approche la grande fête annuelle appartenant à la tradition culturelle occidentale qu'est Noël? Pourquoi la majorité, si elle estime importantes ces célébrations de décembre avec leur symbolique religieuse impossible à effacer de la culture qui nous a définis, n'installe-t-elle pas devant les maisons des crèches, dont l'histoire enchante même les mécréants sans préjugés et plus nombreux que leur voix silencieuse le donne à penser, plutôt que ces grotesques personnages plastifiés gonflés à l'hélium et offerts dans les temples du bon goût wal-martien? Pourquoi ne pas afficher ses couleurs culturelles au propre comme au figuré afin que scintille dans la nuit hivernale la joie de ces moments de réjouissances familiales et amicales où le partage à travers des présents, la communion autour de repas extravagants arrosés de vins qui grisent l'esprit et réchauffent le coeur sont l'expression d'une tradition de joie et de la nostalgie de l'enfance?

Noël, fête de la vie, doit-il se vivre sur ce coin de terre développé par nos pères dans le silence, la noirceur et l'indifférence dans lesquels quelques chantres fondamentalistes, y compris les nouveaux clercs d'une laïcité devenue une sorte de religion avec son dogmatisme et son corps de doctrine, voudraient l'enfermer?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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