Un dragon crache du feu sur le New Yorker

Le producteur Scott Rudin (Moneyball, The Social Network, Doubt) a déclaré la guerre cette semaine au critique du New Yorker David Denby, au motif que ce dernier a fait paraître sa critique de The Girl With the Dragon Tattoo avant la levée de l'embargo prévue pour le 21 décembre, jour de sa sortie.

Pour sa défense, Denby plaide dans une lettre envoyée à Rudin la difficulté pour une revue hebdomadaire de dénicher tout au long de l'année des films américains visant un auditoire adulte, alors qu'en décembre les studios en mitraillent une bonne dizaine. Outre l'argument de l'engorgement, le critique invoque aussi le fait que son texte consacré au film de David Fincher tiré du roman de Steg Larsson est très élogieux. Que nenni pour Rudin, qui a décidé tel un prêtre en chaire d'excommunier Denby et de le bannir des visionnements de ses prochains films.

Que penserait Mikael Blomkvist de cet échange? De qui la rédaction de Millenium prendrait-elle le parti? Celui de Denby voyons, et avec raison.

Les embargos critiques tiennent de la plus belle hypocrisie commerciale et culturelle qui soit, et Blomkvist serait le premier à les dénoncer. Ils servent les intérêts économiques des distributeurs, qui orchestrent la campagne marketing de leurs films avec le consentement complaisant des médias, et en signant des ententes à la pièce avec la presse professionnelle (Variety, Hollywood Reporter, etc.). Pourquoi The Girl With the Dragon Tattoo a-t-il été montré à la presse new-yorkaise un mois avant sa sortie, quand ceux d'ici le verront le 19 décembre? Afin que les critiques de la Grosse Pomme puissent l'inclure dans leurs palmarès annuels et aussi, possiblement, pour qu'ils lui décernent leur prix de fin d'année. Incidemment, celui des critiques du New Yorker est allé à The Artist de Michel Hazanavicius. Pour tout le reste, le mot d'ordre demeure: «Hold the reviews».

Tel un troupeau de brebis, les critiques se le tiennent pour dit, et leurs rédactions vendues aux intérêts publicitaires des mêmes distributeurs, jouent le jeu du secret d'État comme s'il s'agissait de la libération d'otages en Irak ou des circonstances suspectes de la mort d'Erik Vanger. Oups! Tout cela au mépris des lecteurs inondés avant l'heure dite de publireportages.

Par solidarité avec Denby, un des meilleurs critiques de cinéma en Amérique du Nord, je vous glisse ici quelques extraits de son texte paru dans la plus récente livraison du New Yorker. «Voici, dit-il, une oeuvre de cinéma à la fois morose et envoûtante; on y décèle par intermittence une froide vision du monde, où de brefs instants de loyauté surgissent entre une série continue d'actes de trahison.» Plus loin, Denby trace un fascinant parallèle entre Zodiac, film de Fincher datant de 2007, également fondé sur une enquête criminelle: «Dans Zodiac, chaque élément de preuve amené était ensuite rapidement disqualifié. Ce film était l'expression du désespoir philosophique, où la vérité ne peut jamais être connue. Dragon Tattoo prend le parti contraire en faisant l'apologie de la déduction et du travail d'enquête — ce qu'Edgar Allan Poe appelait la "ratiocination".»

Ou l'art du raisonnement. Celui-là même qui a fait trébucher le gratte-papier et sortir de sa caverne le cracheur de feu.

***

L'imagerie en relief, ou 3D, gagne des adeptes et semble, à la faveur d'Hugo et de Tintin, franchir une étape vers la reconnaissance.

Ainsi, dans un entretien accordé à Screen International, la monteuse attitrée de Martin Scorsese et deux fois lauréate d'un Oscar, Thelma Schoonmaker, racontait cette semaine combien la technologie 3D a influencé chaque décision artistique sur le tournage d'Hugo.

«Il [Scorsese] était continuellement préoccupé par la profondeur, dit-elle. [...] Rien à voir avec les effets-surprises qui sautent au visage, quoiqu'il y a quelques beaux plans comme ça. L'idée consistait pour lui à tirer les personnages vers l'avant afin de donner aux spectateurs le sentiment qu'ils sont dans la même pièce qu'eux.»

Au même quotidien, Steven Spielberg, qui fait un usage moins inspiré de la technologie 3D dans Les aventures de Tintin, déclare: «Je suis en désaccord avec mes confrères qui estiment que tous les films devraient être tournés en 3D. La 3D est un outil supplémentaire dans un très grand coffre d'outils. La 3D devrait être employée pour accomplir quelque chose de précis. Il ne faut pas que ça soit simplement un sceau apposé sur la publicité d'un film.»

Le peu d'intérêt qu'elle présente dans son film laisse par contre songeur.

À voir en vidéo