Les aventuriers de l'innocence perdue
C'est une vague. Non, un courant, que dis-je, un raz-de-marée. En réaction par rapport à notre monde ankylosé par la crise financière et des gouvernements inertes, corrompus ou évangéliques, un nombre étonnant de cinéastes nous renvoient au temps de la bonté, de la solidarité, de la pureté, de la croyance au miracle, bref, de l'innocence. Leader du mouvement: Steven Spielberg. Lui qui avait perdu son innocence avec Schindler's List vient de nous offrir trois belles illustrations de ce sentiment et de nostalgie avec Super 8, qu'il a produit, puis Les aventures de Tintin et Cheval de guerre, qu'il a réalisés coup sur coup et que les cinéphiles découvriront avec quelques semaines d'écart durant le mois de décembre.
Essentiellement, Tintin nous fait renouer avec l'éternel enfant qui dort en nous, à travers une chasse au trésor truffée de péripéties. Sur un autre ton, Cheval de guerre se donne le même objectif. Dans cette somptueuse chronique rappelant le Joyeux Noël de Christian Carion, le lien d'affection qui unit un cheval à son jeune propriétaire est soumis à l'épreuve par la Grande Guerre. Comme pour soutenir l'idée de rêve et de miracle, Spielberg a privilégié un traitement hyperréaliste qui nous renvoie aux films hollywoodiens d'avant et durant la Deuxième, Autant en emporte le vent et Madame Miniver en tête.La sortie en salle cette semaine (et à la fin du mois en France) du dernier film d'Aki Kaurismaki universalise ce retour à l'esthétique des années 1930 et 1940, le cinéaste finlandais rendant hommage à travers un récit contemporain sur le sens moral d'un cireur de chaussures aux grandes oeuvres du réalisme poétique tels Hôtel du Nord et Le jour se lève. Même le personnage d'épouse dévouée pour son homme joué par Kati Outinen porte un nom sans équivoque: Arletty.
Hugo de Martin Scorsese, sorti la semaine dernière, participe lui aussi à ce courant de films campés dans un passé (les années 1920) où les valeurs fondamentales étaient différentes de celles, mobilières et marchandes, qui caractérisent le présent. Le Français Michel Hazanavicius nous fait remonter à la même époque pour illustrer dans The
Artist comment le passage du muet au parlant a tué l'innocence du cinéma en privilégiant la langue au langage. We Bought a Zoo de Cameron Crowe, sur un veuf qui achète un zoo à son insu, s'annonce comme une plaidoirie bon enfant en faveur de l'émerveillement. La liste des films qui participent à ce courant à divers degrés part dans tous les sens, à tous points de vue. L'éventail va en effet de Our Idiot Brother, sur un Candide contemporain, à Melancholia et Tree of Life, sur la naissance et la fin du monde, en passant par Footloose et Monsieur Lazhar. Comme quoi le monde a envie de se faire raconter des histoires d'enfance, d'innocence, de pureté, qui font obstacle aux valeurs individualistes et sauvages du monde contemporain. Même les Muppets vantent un idéal d'un autre temps à de grands enfants qui en ont la nostalgie. Ces derniers sont d'ailleurs si nombreux que le film a engrangé des recettes inespérées de 43 millions durant sa première semaine d'exploitation. Nous n'allons plus à l'église, mais...