Évaluer pour mieux protéger
Pour le Conseil régional de l'environnement de Laval (CRE-Laval), la CMM doit décréter un moratoire sur la destruction de milieux humides des 82 municipalités qui la composent, jusqu'à ce qu'on les ait «caractérisés», c'est-à-dire qu'on ait évalué rigoureusement leur valeur écologique.
Jusqu'à présent, note le mémoire du CRE-Laval dans son mémoire sur le Plan métropolitain d'aménagement et de développement (PMAD) de la CMM, plusieurs villes ont réalisé jusqu'ici des inventaires de milieux humides, «mais il est faux de prétendre que la caractérisation de ces milieux humides a été réalisée et, par le fait même, il est impossible de connaître la valeur écologique de ces milieux». En clair, Québec, les MRC et les villes autorisent encore leur destruction sur la foi de critères aussi superficiels que la surface et la connectivité à d'autres écosystèmes, notamment.Une caractérisation complète, répartie sur un an pour déterminer toutes les relations écosystémiques d'un milieu donné, est essentielle pour compléter la démarche d'identification de ces milieux, réalisée par Canards illimités, sans que cela ait eu la moindre suite du côté gouvernemental.
L'expertise du CRE-Laval mérite un examen attentif de son mémoire en raison de sa longue tradition de défense des écosystèmes aquatiques dans le sud du Québec. Pour ce CRE, la CMM doit se doter d'un «plan d'ensemble de conservation, de protection et de mise en valeur» des milieux humides. Jusqu'ici, 85 % ont été sacrifiés en une génération au profit des promoteurs immobiliers et des entrepreneurs. Il y aurait là d'ailleurs un volet juteux pour une véritable commission d'enquête qui voudrait analyser les complaisances douteuses entre ces intérêts privés, souvent sans foi ni loi, et les représentants de l'intérêt général à tous les niveaux...
Le CRE-Laval souligne aussi une autre déficience du PMAD. En effet, ce plan précise que les MRC «peuvent» intégrer les plans directeurs de l'eau, exigés par une autre loi, dans leur schéma d'aménagement. Cela constitue effectivement une véritable démission par rapport aux besoins de protection des plans d'eau de la région. Comment peut-on imaginer que les MRC pourront se passer de cet outil de planification environnementale d'ici 2030: le tiers du siècle à venir se passerait sans qu'elles aient l'obligation de mettre sur la table une politique de protection qui aurait valeur légale via leur schéma et qui ne s'inscrirait pas obligatoirement dans une approche écosystémique? L'omission est effectivement inquiétante et placerait la région de Montréal des décennies derrière les règles de l'art en matière d'aménagement écosystémique.
Pour le CRE-Laval, la CMM devrait aussi intégrer obligatoirement dans son plan directeur les règles de la politique québécoise de protection des rives et du littoral. Cela mettrait fin au régime de passe-droits que certaines MRC ont négocié avec Québec en catimini pour le plus grand bénéfice de leurs promoteurs privés et des caisses électorales. Cela mettrait fin aussi à la possibilité de MRC comme celle de Laval d'étirer l'élastique au point de fonctionner avec des années de retard sur les règles de protection riveraines appliquées dans les autres MRC de la CMM. Comment justifier que la protection des cours d'eau se ferait encore et jusqu'en 2030 avec des règles différentes de protection selon les territoires municipaux qu'ils traversent?
Le CRE-Laval souhaite que Québec aide le monde municipal à mettre de l'ordre dans ce dossier où l'improvisation, l'incohérence, voire la désinformation permettent aux élus de se gargariser au développement durable tout en faisait fi des règles les plus élémentaires de la viabilité des écosystèmes.
Cet organisme souhaite aussi l'adoption d'une «loi québécoise sur la conservation, la protection et la mise en valeur des milieux naturels».
La proposition fait sourire, car l'objectif premier de la Loi sur la qualité de l'environnement est précisément de protéger les écosystèmes. Au fond, ce que dit le CRE-Laval, c'est que cette loi n'est qu'une machine à délivrer des permis de polluer et de dévaster, et qu'il en faudrait une autre pour atteindre à peu près les mêmes objectifs! Mais la proposition, qui aurait néanmoins pour mérite d'établir une politique uniforme de compensation et de restauration, donne néanmoins par sa naïveté une idée du désenchantement de ceux qui oeuvrent à la protection de nos écosystèmes.
Le mémoire du groupe de concertation lavallois propose d'autre part d'accorder à court terme une nette priorité à la protection des écosystèmes terrestres de la CMM, où le déficit en aires protégées serait encore plus important que dans le cas des milieux aquatiques. Globalement, ajoute son mémoire, cibler un objectif de conservation de 12 % est insuffisant au regard des recommandations de la commission Brundtland (16 %), de la conférence de Nairobi sur la biodiversité (17 %) et du gouvernement canadien, qui fixe à 30 % le niveau de maintien de la biodiversité. Si on fait de la restauration, il faudrait, ajoute le CRE, que l'argent en principe consacré à la mise en valeur des espaces bleus et verts de la région cesse de financer des marinas et des infrastructures d'accueil pour servir plutôt à l'acquisition des milieux naturels prioritaires! Il en propose trois: protéger toute la rivière des Mille Îles, ses îles et ses paysages; protéger toutes les îles encore intouchées de la rivière des Prairies en face de Laval et accorder une protection immédiate à tous les cours d'eau, grands ou petits, de la région.
Un bon début!
Lecture: La passion du rural, par Bernard Vachon, Tome I, éditions Trois-Pistoles. Une synthèse intéressante des mutations, souvent plus radicales que celles des milieux urbains, qui affectent depuis plusieurs décennies un monde si résilient qu'il occupe encore une portion importante, même de la CMM. Mais jusqu'à quand?
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.