Fièvre électorale

L'automne s'annonce chaud sur la scène provinciale canadienne. Les électeurs d'au moins cinq provinces iront aux urnes d'ici le début du mois de novembre, ce qui pourrait changer la donne en profondeur à l'échelle du pays.

Dans ces cinq provinces où les élections se tiennent à date fixe, les protagonistes n'ont pas attendu le déclenchement officiel des hostilités pour s'affronter. Publicités négatives, divulgation de programmes, tournées des chefs: tout est déjà en branle presque partout.

À l'Île-du-Prince-Édouard (ÎPÉ) et au Manitoba, le coup d'envoi a été donné hier. Aujourd'hui, ce sera le tour de l'Ontario. Terre-Neuve-et-Labrador et la Saskatchewan devraient suivre sous peu. Les scrutins dans ces cinq provinces se tiendront respectivement le 3 octobre, le 4 octobre, le 6 octobre, le 11 octobre et le 7 novembre.

Trois gouvernements sont bien en selle: celui du libéral Robert Ghiz à l'ÎPÉ et ceux des conservateurs de Kathy Dunderdale à Terre-Neuve et de Brad Wall (Saskatchewan Party) en Saskatchewan. Il en va autrement au Manitoba et en Ontario, où les luttes s'annoncent serrées. Il y a à peine quelques mois, les conservateurs y menaient avec une bonne avance sur les néodémocrates manitobains de Greg Selinger et les libéraux ontariens de Dalton McGuinty. Mais, depuis quelques semaines, les écarts s'amenuisent, ce qui laisse présager des campagnes susceptibles d'avoir une véritable incidence.

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De tous les scrutins, c'est l'ontarien que les conservateurs fédéraux surveillent de plus près. Une victoire du conservateur Hugh McFadyen au Manitoba renforcerait la position de la droite dans l'Ouest (comme si cela était possible).

Pour s'en convaincre, il faut se rappeler que la Colombie-Britannique est dirigée par des libéraux qui n'ont de libéral que le nom. Leur parti est beaucoup plus près des conservateurs, dont ils sont issus. La nouvelle première ministre Christy Clark, qui a succédé à Gordon Campbell, songeait à solliciter un mandat avant la date prévue dans la loi sur les élections à date fixe, mais le rejet de la taxe harmonisée lors du référendum tenu cet été l'a fait reculer. Elle dit maintenant s'en tenir à l'échéance de mai 2013.

En Alberta, les conservateurs fêtent cette année leur 40e anniversaire au pouvoir. Leur chef, Ed Stelmach, ayant démissionné plus tôt cette année, ils doivent lui choisir un successeur cet automne et on croit, dans la province, que ce dernier pourrait décider d'aller aux urnes dans les mois qui suivront. Le PC albertain n'est pas assuré de garder le pouvoir, mais son principal rival, la Wildrose Alliance, est encore plus à droite que lui.

Ajoutez à cela une victoire de l'Ontarien Tim Hudak et c'est l'emprise de la droite sur tout le pays qui s'en trouverait consolidée. Au grand plaisir de Stephen Harper.

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Rien n'est encore joué en Ontario et au Manitoba, mais des gains conservateurs signifieraient que tous les gouvernements provinciaux à l'ouest du Québec passeraient au bleu, pendant qu'à l'est Terre-Neuve resterait peinte de la même couleur.

À l'échelle du pays, ce possible réalignement politique ne serait pas sans conséquences sur plusieurs dossiers importants. De l'immigration — la plupart des provinces ont des accords pour la sélection et l'intégration des immigrants — à la justice — nombre de réformes en droit criminel émergent des conférences régulières des ministres fédéral et provinciaux de la Justice.

L'enjeu fondamental demeure évidemment les transferts fédéraux aux provinces. Tous les accords à ce sujet arrivent à échéance en 2014 et la négociation pour leur renouvellement tarde à démarrer. Ce qui est compréhensible, étant donné l'agitation électorale de cet automne.

Cela ne changera rien au fait que toutes les provinces veulent, peu importe leur couleur, maintenir les transferts pour la santé, l'éducation postsecondaire et les programmes sociaux. Mais certains gouvernements pourraient être plus sensibles que d'autres aux arguments de frugalité et de reddition de comptes du fédéral. Ce dernier a promis de maintenir tous ses transferts à leur niveau actuel, mais qu'en sera-t-il de leur croissance? En matière de santé, le gouvernement Harper s'est engagé à maintenir un taux de croissance annuelle de 6 % pour au moins les deux premières années de la future entente. Qu'adviendra-t-il ensuite? Et à quelles conditions?

Le ton de pareilles négociations ne peut qu'être influencé par l'idéologie des premiers ministres en place. La philosophie générale des conservateurs d'un bout à l'autre du pays converge. À noter que la plupart tiennent à des degrés divers à l'autonomie des provinces. Pour le reste, ils sont généralement partisans d'une faible taxation des entreprises, d'un allégement du fardeau fiscal des particuliers et d'une réduction du rôle de l'État. Ils ont un fort biais en faveur du secteur privé et seraient prêts à lui laisser jouer un plus grand rôle dans une foule de domaines, y compris, dans bien des cas, en santé. En matière de justice, ils appuient habituellement une démarche musclée.

Dans tout ce branle-bas électoral, c'est la course qui démarre officiellement aujourd'hui en Ontario qui pourrait avoir le plus d'impact sur la suite des choses. Comme à l'époque où un certain Mike Harris, dont Tim Hudak est l'émule, faisait valoir sa fameuse Révolution du bon sens.

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