De Mouammar à Fidel
Copains comme cochons avec la CIA: avant d'être le salaud répudié et chassé par une bonne partie de son peuple en armes, aujourd'hui caché comme un rat dans un quelconque souterrain ou dans un coin du désert, Mouammar el-Kadhafi était le pote des espions américains. Oui, parfaitement! De l'affreuse, de l'innommable, de l'horrible Central Intelligence Agency.
En fait, précisons: c'est son proche, son numéro deux, son confident de tant d'années au pouvoir, Moussa Koussa, qui — un correspondant de la New York Review of Books le révélait ce week-end — a longtemps correspondu avec l'agence américaine et son double britannique, le MI-6.La New York Review, cette superbe publication intellectuelle comme on n'en fait plus — qui fait dans l'analyse politique et littéraire, mais ne dédaigne pas un scoop à l'occasion —, a mis la main, à Tripoli, sur des documents fascinants: une correspondance suivie, qui commence en 2004, entre ce Koussa et de hauts responsables du renseignement américain et britannique.
Le ton est extrêmement cordial. Sujet de prédilection: la lutte contre le terrorisme et les dangereux islamistes! On y apprend entre autres choses qu'au moins un «terroriste», réel ou présumé, a été — tel un Maher Arar — renvoyé par la CIA aux autorités libyennes... pour qu'elles le «traitent» en conséquence.
Alors, lorsqu'un petit carré de gauchistes — hyperactifs sur le Net — persiste à minimiser les crimes, voire à chanter les louanges, des Kadhafi et autres Assad en butte à «l'impérialisme déchaîné»... rappelez-vous qu'en leur temps, ces affreux du jour furent de précieux collaborateurs de «l'Empire».
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Il y a des années que je lis dans le quotidien El País les reportages de Mauricio Vicent en provenance de La Havane. Comme je ne me satisfais pas, pour savoir vraiment ce qui se passe dans ce pays — et après cinq séjours là-bas — du site de la Granma (la «Pravda» cubaine, l'un des deux seuls quotidiens du pays — l'autre, Juventud Rebelde, étant une variante proche, aussi grise et propagandiste que la première), j'ai toujours suivi avec grand intérêt les textes de ce reporter en poste depuis vingt ans dans l'île communiste.
Que ce soit pour comprendre les aspects cachés du dernier remaniement dans l'opaque système politique cubain, la dureté incroyable des coupes annoncées en 2010 dans la fonction publique, l'humeur de la population devant la perspective de libéralisation économique, les dessous de l'opération de Hugo Chávez à La Havane ou les détails du premier mariage homosexuel du pays (été 2011), El País est l'une des seules publications étrangères à avoir suivi, au fil des ans, l'actualité cubaine au jour le jour. En réalité, aucun autre grand journal ne le fait, en quelque langue que ce soit.
Or, M. Vicent, après toutes ces années, vient de se faire retirer son autorisation de travailler à Cuba. Motif: «Il présente dans ses articles une image partiale et négative de la réalité cubaine.»
On a déjà entendu ce genre de justifications, en Syrie et en Iran (où Angeles Espinosa, l'excellente correspondante permanente du même journal à Téhéran, vient également de se faire retirer son permis de travail). Ou en URSS, lorsque cet empire existait encore. En Russie, on continue d'ailleurs d'intimider et de persécuter les journalistes... même si ceux que l'on vise sont essentiellement des nationaux. Et puis en Chine, la glaciation politique en cours laisse planer des doutes sur la liberté de manoeuvre des scribes étrangers, en poste ou en visite...
Réaction de Reporters sans frontières, une organisation qui a souvent critiqué les entraves à la liberté d'expression à Cuba: «Veut-on faire un exemple, ou envoyer un avertissement à la presse internationale, alors que se durcit à nouveau la répression des dissidents et les voix critiques de la société civile?» Ce régime de parti unique qui, encore en 2010, envoyait des signes de réformes, semble une nouvelle fois se replier sur lui-même. Fidel veille au grain...
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Pendant ce temps, la Granma publie des «informations» — c'était encore sur le site, hier soir — qui font l'éloge du dernier carré de loyalistes de Kadhafi qui, à Syrte et à Bani Walid, résistent encore et toujours à l'impérialisme, déguisé sournoisement sous les oripeaux des «combattants du peuple libyen».
Mouammar et Fidel, même combat!
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François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
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francobrousso@hotmail.com