Revue de presse - Entre illusion et réalité
Les scénarios d'union du Parti libéral du Canada (PLC) et du Nouveau Parti démocratique (NPD) ne trouvent pas preneur auprès des éditorialistes et des chroniqueurs du Canada anglais. Ils sont quasi unanimes à juger l'idée irréaliste, mal avisée ou même farfelue.
John Ibbitson, du Globe and Mail, reflète bien l'opinion générale. Selon lui, «les lois naturelles de la politique ne permettront pas» une telle fusion. Elle n'aurait rien de commun avec ce qui s'est produit du côté de la droite où un parti, autrefois divisé, a refait son unité. «Pour qu'un parti social-démocrate et de protestation fusionne avec un parti traditionnellement centriste et habitué du pouvoir, il faudrait qu'un ou l'autre ou les deux modifient leur code génétique politique», écrit-il. Et ce serait ignorer l'histoire. Ibbitson rappelle qu'il a fallu dix ans, trois élections et plusieurs changements de chefs pour que les deux partis de droite reconnaissent qu'ils n'avaient aucun avenir chacun de leur côté. Leur union était nécessaire. Le NPD et le PLC n'en sont pas là. Les néodémocrates sont sur une lancée et croient pouvoir l'emporter la prochaine fois. Les libéraux sont persuadés de leur côté de pouvoir remonter la côte. «Tant que ces deux partis n'auront pas perdu espoir, ils n'auront aucune raison de fusionner.»L'Edmonton Journal pousse la réflexion plus loin. Selon le quotidien, une fusion PLC-NPD limiterait le choix des électeurs, ce qui serait par conséquent «très mauvais, paternaliste et même aliénant pour notre démocratie». Le cas de la droite ne peut servir d'exemple puisqu'il s'agissait de la réunification d'une famille politique alors que le PLC et le NPD ont toujours représenté des écoles de
pensée différentes ayant la faveur d'électeurs différents, des adultes suffisamment convaincus pour voter comme ils l'ont fait lors des élections du 2 mai, même si cela pouvait contribuer à une victoire conservatrice. Les champions d'une fusion croient-ils que ces électeurs sont incompétents, demande le Journal? Les Américains ont un système bipartisan et ne se trouvent pas toujours bien servis. «Le choix est une bonne chose. C'est la définition même de la démocratie.»
Au travail
David Akin, de l'agence QMI, ne voit pas pourquoi un parti qui croît encore, le NPD, s'allierait à un parti qui est en chute libre, le PLC. Akin trouve préoccupant que quelques libéraux jonglent avec cette idée. Selon lui, cela démontre qu'ils n'ont pas encore compris ce que les conservateurs et les néodémocrates, eux, ont réalisé depuis longtemps, à savoir qu'il n'y a pas de raccourci vers le pouvoir. «Les néodémocrates se sont donné un plan en 2003 quand Jack Layton a pris la barre et ils l'ont mis en oeuvre avec constance depuis [...]. Stephen Harper a fait le dur travail de terrain pour patiemment mener un mouvement en faveur de l'union des conservateurs.» Si les libéraux veulent remonter la pente, ils doivent «écarter les rêves fantaisistes de fusions et de retours rapides au sujet des vertus politiques que sont la patience et le travail soutenu».
Dans le Globe and Mail, la politologue Antonia Maioni offre aux libéraux cinq conseils pour reprendre pied. D'abord, cesser de vouloir occuper — sans savoir où aller — le centre d'un échiquier politique qui n'est plus linéaire, mais multidimensionnel. Faire ensuite siens certains enjeux politiques précis et rétablir les ponts avec le Québec en sortant du West Island et de la vieille opposition fédéraliste-souverainiste. Finalement, cesser de rêver d'un grand chevalier insufflant à lui seul une vision au parti et mettre un terme aux discussions de fusion. «En d'autres mots, soyez audacieux ou faites de l'air», conclut-elle brutalement.
Jack
Toujours dans le Globe and Mail, Jeffrey Simpson revient — avec plus de recul — sur la montée aux nues qu'a connue Jack Layton à la suite de son décès. Il note que «la béatification politique de M. Layton, y compris son testament publié de manière posthume, fut un mélange de gestes calculés et spontanés. N'eût été la tragédie de sa mort au moment de son plus grand triomphe et au jeune âge de 61 ans, il y a peu de doute que l'événement n'aurait pas eu la résonance et le caractère poignant qu'il a eus.» Les stratèges du NPD l'ont enveloppé d'un certain esprit partisan, ce que Simpson juge normal et peut-être conforme aux souhaits de Layton, mais cela a donné l'impression d'une récupération politique. On a affirmé que le sursaut d'émotion découlait en partie de l'adhésion des gens à la «vision» de Layton. Les néodémocrates ont alimenté cette impression, y croyant eux-mêmes, mais Jack Layton, rappelle Simpson, a obtenu moins de votes que Stephen Harper. Layton était un néodémocrate traditionnel, dans la lignée de ses prédécesseurs. Sa vision n'a jamais vraiment changé, mais le contexte, oui. Simpson souligne que Layton n'a connu qu'un grand triomphe, celui du 2 mai dernier. On ne saura jamais s'il aurait pu faire mieux ni quel genre de premier ministre il aurait pu être, mais c'est cet inconnu, croit le journaliste, qui a contribué à cette «béatification».