Médias et festivals

Les critiques de cinéma observent le star-system de l'intérieur: cette bulle de luxe et de gloire trônant dans une Olympe, dont rêve le commun des mortels. Quelques paillettes s'écaillent, des démystifications s'opèrent, forcément, au contact des faux dieux. Les vedettes se transforment en êtres humains, certains plus brillants que d'autres: Brad Pitt, surtout Sean Penn — mais Robert de Niro a du mal à aligner trois phrases. À chacun ses forces, ses humeurs, ses carences. Les acteurs se font tendre le micro avec des questions d'ordre intime fusant de partout en conférence de presse. Phénomène qui participe à l'abrutissement général du public: entendons-nous sur ce point, mais allez endiguer si puissant raz de marée...
La «peoplelisation» a depuis longtemps quitté la niche des magazines spécialisés pour envahir l'espace médiatique. Dans les pages culturelles de bien des journaux, scandales et divorces des uns et des autres occupent un gros espace rédactionnel, grugeant celui des critiques et des entrevues de cinéastes. Signe des temps, qui en désole plusieurs. Davantage de paillettes et moins de contenu: grand mot d'ordre rédactionnel. Ça prend du lustre, soit... aussi du cinéma. On tente de sauver les meubles de notre côté.Les festivals de films, créatures bicéphales, ont bien compris leur double rôle. D'un côté: des oeuvres et des cinéastes à mettre en lumière. De l'autre, des stars, acteurs ou actrices, certains bourrés de talent, d'autres célèbres pour cause de célébrité, au mieux de grands cinéastes à jeter en pâture aux journalistes, aux photographes et aux télés.
Les médias, au faste et au contenu, sont les vitrines des festivals. Les rendez-vous cinématographiques très médiatisés et arrimés à un important marché attirent à eux les oeuvres phares, les créateurs de haut vol et les étoiles. Question de cote, comme à la Bourse.
Je pars cette semaine au Festival de Toronto (TIFF). Des préjugés hélas! tenaces au Québec veulent n'y voir qu'une grosse tribune promotionnelle américaine pour les films lorgnant les Oscars. Le TIFF en est une, soit, mais bien davantage. Sur le flanc gauche, les meilleures oeuvres de partout envahissent ses écrans. Même nos primeurs nord-américaines québécoises, Café de Flore, Monsieur Lazhar, etc. C'est là-bas qu'Incendies de Denis Villeneuve a trouvé son distributeur américain l'an dernier. La Ville reine et son marché, qui tient de la ruche bourdonnante peuplée d'acheteurs éventuels, deviennent une tombola de l'espoir pour le cinéma international.
Vedettes et méga cinéastes fourmillent à Toronto: cette année de Brad Pitt à Madonna, de George Clooney à Francis Ford Coppola en passant Clive Owen, Tilda Swinton, Charlotte Rampling, Luc Besson, Juliette Binoche, Salma Hayek, Woody Harrelson, les musiciens U2, Pearl Jam et Neil Young, des centaines d'autres. Si brillante nuée que tous les projecteurs s'y braquent. Les revues de presse torontoises sont à l'avenant: interviews de grosses pointures, presque rien sur les films.
À Cannes, Venise et Berlin, les oeuvres sont mieux couvertes. Ces rendez-vous s'offrent un volet compétitif solide et incontournable, suivi par la presse du monde entier, laquelle relaie aux quatre coins du monde des films parfois pointus de cinéastes obscurs. Stars et films se partagent la couverture pour ces grandes manifestations, servant de concert cinéphiles et amateurs de people.
Or Toronto, qui au départ relayait la crème des oeuvres déjà projetées dans différents festivals, refuse d'avoir une compétition. Malgré ses nombreuses primeurs de prestige, le TIFF se préfère simple fête du cinéma. Un choix qui se défend, avec effet pervers toutefois: le maintien à l'ombre d'une immense partie de sa remarquable programmation.
Car «lâchée lousse», comme on dit, la presse locale et internationale, sous l'avalanche de noms en lettres d'or et de productions américaines très attendues, oublie (et n'a pas le temps) d'attirer l'attention sur les découvertes et les merveilles cachées. Les critiques québécois couvrent là-bas plus de films que leurs vis-à-vis torontois, mais les «must» sont des «must» pour tout le monde, et on rate trop d'oeuvres dépourvues d'auréoles.
Frustrant ça, pour les programmateurs du TIFF lesquels se fendent en quatre pour trouver les meilleurs films des cinq continents, si peu commentés. La popularité de ce rendez-vous adopté par les Américains se révèle aussi son talon d'Achille.
Inertie structurale
Retour au Festival des films du monde qui s'est clôturé dimanche. Il fallait voir avec quelle frénésie tous s'arrachaient en fin de semaine dernière Catherine Deneuve — qui n'en demandait pas tant — pour saisir à quel point le manque de vedettes et de cinéastes de prestige avait laissé les médias sur leur soif.
Le FFM, dont le déclin s'explique par son inertie structurale, aussi parce que Toronto et Venise se servent, côté films, en premier, possède le double désavantage d'accueillir trop peu de visiteurs de marque et de présenter une
programmation mal défrichée. Son volet compétitif est de niveau moyen. Quelques bons morceaux, pas assez. Si bien qu'à ses problèmes récurrents, s'ajoute une désaffectation des médias locaux. L'espace dévolu au FFM dans plusieurs de nos journaux s'amenuise comme peau de chagrin, cette année plus que jamais.
À force d'avoir crié dans le désert en lui demandant de se renouveler, et faute de trouver grand-chose à se mettre sous la dent, la presse met moins de coeur, moins d'images, et moins de mots sur cette manifestation. L'appui de son fidèle public, lui-même privé de sang neuf, ne pourra lui suffire éternellement. Car les médias forment un drôle de couple avec les festivals. Mais couple tout de même, où chaque partenaire doit trouver sa pitance, sous peine d'abandon prochain du foyer.