L'enfant problème

Les Cheveux mouillés est le quatrième roman de Patrick Nicol
Photo: Source Leméac Les Cheveux mouillés est le quatrième roman de Patrick Nicol

«Tous les romans que je lisais, j'avais l'impression de les avoir déjà lus, écrits dans les mêmes mots ou d'autres à peine différents.» Cette remarque, le romancier Patrick Nicol la prête à son personnage d'écrivain dans Les Cheveux mouillés. Justement, c'est frappant. Avec ce livre-là, c'est tout le contraire qui se produit.

L'impression de plonger dans un univers singulier. L'impression d'être dans un livre tout à fait atypique. Comme c'était le cas dans La Notaire, dans Nous ne vieillirons pas ensemble ou dans La Blonde de Patrick Nicol, ses trois romans précédents.

D'un livre à l'autre — il en a publié sept depuis 1993 — Patrick Nicol déboussole son lecteur. Pour se surprendre lui-même? Il y a bien des thèmes qui reviennent, comme le vieillissement, la perte, la mémoire, l'usure du couple, le fantasme sexuel. On pourrait parler d'une constellation. De la constellation propre à cet écrivain, à son monde romanesque.

Il y aussi cette petite musique mélancolique qui traverse ses livres. Une musique toute personnelle. Ce n'est pas si fréquent. On peut penser à Gilles Archambault. Ou encore à l'auteure de Bonjour tristesse, dans un tout autre style. À Modiano. À Duras, tiens. Annie Ernaux aussi...

Un climat, une signature

Mais Patrick Nicol, c'est Patrick Nicol. Chaque fois, il installe un climat. Son climat. Porté, en sourdine, par sa musique à lui. Chaque fois, au début, on se dit: bon, il ne se passe rien, ou pas grand-chose. Ça semble décousu.

Nous sommes dans la distance, le flottement, la langueur. Dans la retenue, l'économie de mots. Nous sommes dans l'être, plus que dans le paraître, dans le questionnement, le tâtonnement, davantage que dans l'action.

Quand même, en filigrane, une tension. Il y a du mystère dans l'air. Et le pire pourrait arriver. Un aspect polar mêlé à tout ça. Ici, dans Les Cheveux mouillés, un enlèvement. Un enlèvement d'enfant.

Mais ne précipitons rien. Au centre de l'histoire: un couple. Ils sont dans la cinquantaine, sont ensemble depuis des lunes. On fait connaissance avec l'homme, d'abord, l'écrivain dont je vous ai parlé au début.

Sa femme apparaît comme une ombre, elle est là de temps en temps au bout du fil, elle est là dans la pensée de son mari, mais on n'a pas de contact réel avec elle. Pas dans la première partie du roman.

On suit l'écrivain, parti donner une conférence à des adolescents dans une école en région. Une conférence sur la littérature japonaise, sa passion. Pas envie de parler de lui, de ses livres à lui, trop pudique. Mais ça tombe à plat, il ne réussit pas à faire lever la salle: l'écart entre ces jeunes et lui semble si grand.

On le voit fantasmer sur la jeune professeure. «Elle a à peine trente ans et le sourire qu'elle lui lance, après avoir stationné prestement la voiture, est engageant.» Dans les faits, il sent que son corps le lâche de plus en plus, que mettre en marche la mécanique du désir ne va plus de soi.

On le voit tenter des approches du côté d'une ancienne maîtresse. On le voit plonger dans ses souvenirs heureux. Et dans ses souvenirs malheureux, alors qu'il était prêt à tout pour fuir la maison, sa femme, leur enfant.

L'enfant, justement. Il est devenu grand. Il est devenu père à son tour. Et le grand-père veut rencontrer son petit-fils. Même chose pour la grand-mère. Ça, c'est l'axe vers lequel tend le récit. C'est le catalyseur.

La deuxième partie du roman, de loin la plus forte, la plus enlevante, comme si l'auteur retardait le moment de cracher le morceau, nous plonge surtout dans l'univers de la femme. Qui sort tant bien que mal d'une maladie, non identifiée. Ça ressemble à une grande fatigue. Et ce n'est pas la première fois que ça se produit.

Avec elle, on revit l'arrivée de l'enfant dans leur couple. Un enfant terrible, intenable, incontrôlable. Qui l'épuisait. Un petit monstre. Qu'elle se sentait incapable d'aimer.

Elle revoit tout: «Ses premiers jours se sont écoulés en un long cri, une incessante plainte qui annihilait toute chance de répit.» Elle se dit: «J'ai été une jeune mère triste et fatiguée. Abattue.» Non, rien à voir avec ce qu'elle avait imaginé. Elle ne cessait de «mesurer la distance la séparant de ce qu'elle devrait vivre.»

Elle se rappelle: toutes les fois où elle a eu l'idée de laisser tomber le bébé, de le noyer? Elle n'a pas oublié, à mesure qu'il grandissait, ses «immenses colères», ses «transes inexpliquées». Toute cette place qu'il prenait, et ce mépris qu'il lui témoignait: «L'enfant apparaissait à Claire comme un ramassis de déchets élaborés à des milliers de kilomètres de chez elle et qui envahissait sa maison pour ensuite la tenir à l'écart.»

Un constat d'échec


C'est ça, aussi, Les Cheveux mouillés: un questionnement sur la maternité comme devant aller de soi, sur l'amour absolu de ses petits qui ne va pas toujours de soi justement. Et un questionnement sur les cas d'enfants difficiles: comment faire pour les élever sans y perdre sa raison, sa santé? Et son couple?

C'est un constat d'échec, dans le cas de cette femme. Et de son mari. Maintenant que le fils est grand, qu'il est parti, ça va mieux. Ils respirent. Vont-ils parvenir à se rapprocher? Comment rattraper les années gâchées? Comment faire face au corps qui vieillit? Cette question, surtout, lancinante: qu'avons-nous fait de nos vies?

Et maintenant, ce petit-fils. Qu'ils n'ont vu qu'en photo, qu'ils veulent voir à tout prix, en chair et en os, quitte à agir de façon détournée, condamnable. Cet «appel du sang» qui les prend.

Ce désir de câliner un petit, leur petit-enfant, ce désir de lui caresser la tête, de passer la main dans ses cheveux mouillés. Ce besoin de contact charnel, qui leur a tant manqué avec leur bébé.

Une façon de se racheter, tout cela? De se racheter à leurs propres yeux, s'entend. Une façon de chasser ce sentiment d'échec, d'impuissance, de honte qui les a désunis, mais aussi qui les a soudés.

Mais est-ce seulement possible? Est-ce seulement possible de combler le hiatus entre un enfant bien réel et l'enfant rêvé, entre vie réelle et vie rêvée, pour commencer? Patrick Nicol n'est pas du genre à nous nourrir d'illusions.

À voir en vidéo