Un lac pour tous

La Cour d'appel du Québec vient d'annuler le règlement 535-2 adopté par la municipalité de Saint-Adolphe-d'Howard en 2006. Ce dernier exigeait le nettoyage des embarcations motorisées et leur mise à l'eau obligatoire aux débarcadères municipaux. Mais ces débarcadères, précisait le règlement, étaient accessibles aux seuls «résidants»...

La Cour supérieure du Québec avait donné raison à Saint-Adolphe-d'Howard en janvier 2009 contre un résidant qui louait des chalets et voulait permettre à ses locataires d'utiliser leurs propres embarcations à moteur. Nous avions fait état de ce jugement en 2009 en soulignant deux choses. Il était heureux de constater que la Cour supérieure confirmait la compétence des municipalités en matière d'environnement. Mais nous déplorions que la Cour excuse la discrimination créée entre résidants et non-résidants sous prétexte qu'il s'agissait d'une mesure raisonnable compte tenu des objectifs environnementaux recherchés.

Le cas de Saint-Adolphe n'est pas unique, car plusieurs municipalités ont commencé à limiter l'accès à des lacs pourtant publics, mais ceinturés de propriétés privées, comme si cela justifiait d'en faire l'équivalent de clubs privés.

Saint-Adolphe-d'Howard a admis durant le procès que l'objectif de son règlement était double. D'une part, la municipalité voulait protéger l'intégrité du lac contre l'introduction d'espèces étrangères, comme les moules zébrées et autres plantes végétales indésirables. Mais elle ajoutait qu'elle voulait du même coup réduire l'achalandage du lac en interdisant son accès aux embarcations des non-résidants, tout en leur permettant d'utiliser l'équipement d'un locateur ou d'un propriétaire résidant. En somme, on institue un deuxième obstacle à l'accès, en sus du nettoyage obligatoire.

Dans un premier temps, les juges Gagnon et Chamberland statuent que contrôler même indirectement l'accès à un lac empiète sur les pouvoirs du gouvernement fédéral, à qui la Constitution de 1867 confie la responsabilité exclusive du contrôle de la navigation. Dès lors, le règlement de la municipalité devient ultra vires. Ce droit de contrôler la navigation, estiment les juges Gagnon et Chamberland, «comprend implicitement tout ce qui lui est inhérent afin d'être exercé librement et avec efficacité, y compris la mise à l'eau et la sortie de l'eau».

Le juge Léger exprime une opinion dissidente, car depuis l'arrêt Spraytech, écrit-il, on reconnaît aux provinces et aux municipalités de pouvoir restreindre — et non d'interdire — des activités relevant de la compétence fédérale. On se souviendra que l'arrêt Spraytech avait autorisé la municipalité de Hudson à limiter aux cas graves d'infestation les épandages de pesticides sur son territoire, des pesticides pourtant autorisés par le fédéral.

Mais les juges Gagnon et Chamberland, sans se prononcer sur le caractère discriminatoire du règlement, estiment qu'il vise que de façon accessoire et inefficace son objectif environnemental.

Ainsi, statuent les deux magistrats, «on imagine difficilement en quoi l'activité nautique des non-résidants serait plus dommageable à l'environnement que celle de ses citoyens». De plus, si l'objectif est de réduire l'utilisation du lac pour réduire le brassage de ses eaux, en quoi son utilisation par des embarcations motorisées des résidants est-elle moins dommageable que celle des embarcations, bien nettoyées, de non-résidants?

«Le règlement, statue la Cour d'appel, ne répond pas à cette préoccupation [environnementale] dans la mesure où le stress imposé par l'activité humaine à l'environnement est en fonction du nombre des usagers et non de leur provenance.»

Le raisonnement discriminatoire des élus de Saint-Adolphe-d'Howard est ici mis en échec et leur intention de créer une classe d'utilisateurs privilégiés d'un lac public montre à quel point certains élus n'hésitent plus au Québec à user de sophismes légaux et d'obstacles économiques pour y recréer de petits clubs fermés.

Mais tous les lacs ne sont pas protégés ainsi par la compétence fédérale sur la navigation. Le jugement fait état de petits lacs qui ne sont reliés à aucun cours d'eau et dont on ne peut justifier l'accès en bateau pour des fins de transport par embarcations. Il y a aussi au Québec quelques lacs dont la surface est privée parce que des erreurs d'arpentage ont fait en sorte que les contribuables ont payé des taxes sur la surface de cette propriété publique pendant plus de 33 ans.

Mais la vaste majorité des lacs en milieu habité font partie du patrimoine public. Les municipalités devraient se faire un devoir de ne pas les laisser enclavés. Les municipalités les plus responsables achètent ou exproprient au besoin quelques propriétés pour assurer à leur population au moins un accès à la baignade et à la pêche. Il faut appuyer les municipalités qui mettent en place des règles pour protéger leurs lacs contre l'invasion d'espèces envahissantes. Mais cela ne doit pas devenir, comme c'est le cas présentement, un frein à l'accès à des lacs publics, que ce soit par des règles de protection environnementale ou des tarifs abusifs, comme les 80 $ exigés par Saint-Adolphe-d'Howard pour nettoyer une embarcation. S'il faut protéger davantage, elles peuvent limiter le recours aux moteurs à essence, limiter, mais sans discrimination, leur puissance ou interdire certains types d'embarcations particulièrement dommageables, conformément aux lois fédérales et provinciales.

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Lecture: Politiques environnementales et accords volontaires, sous la direction de Jean Crête (Presses de l'Université Laval). Ce collectif soulève d'importantes questions: pourquoi le volontarisme s'implante-t-il autant au Canada et au Québec en matière de contrôles environnementaux plutôt que de réglementation? Qu'est-ce qui conditionne ces choix dont on passe ici au crible les limites et le potentiel?

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