Repères - Règlements de comptes à Washington

Il est malheureusement de mise dans certains milieux de toujours se moquer des Américains. Il faut admettre qu'ils nous donnent parfois des raisons de le faire. La droite populiste façon Tea Party nous gâte depuis quelque temps. Après les exploits cynégétiques de Sarah Palin, on a maintenant droit aux propos mystiques de la nouvelle vedette du mouvement, Michele Bachmann, qui voit la main de Dieu partout.

Dick Cheney, qui publie ses mémoires intitulés In My Time quelques jours avant le 10e anniversaire du 11-Septembre, se montre assez risible lui aussi, mais il n'appartient pas exactement à cette mouvance. Son truc, c'est moins l'intégrisme religieux que l'absolutisme politique, moins le droit divin que la loi du plus fort.

Sa folie est d'un autre ordre et elle était trop sinistre pour qu'on puisse en rire quand il était au pouvoir. Ce n'est pas Dieu qui l'a choisi pour servir comme vice-président sous George W. Bush en 2000. Le Parti républicain lui avait demandé de chercher le colistier idéal pour «W» et il l'avait trouvé: Dick Cheney! Quand on a de l'étoffe, on peut être son propre créateur.

Pas de retenue


Michele Bachmann et ses semblables pourfendent les homosexuels et les disciples de Darwin. Dick Cheney, lui, n'a jamais renié sa fille lesbienne et il se fiche probablement de savoir si l'homme descend du singe ou s'il résulte d'une création miraculeuse. Il préfère pourfendre ceux qui exigent de la retenue dans l'exercice du pouvoir et un minimum de reddition de comptes en démocratie.

Il est vrai que le duo Bush-Cheney avait été porté au pouvoir par une coalition formée d'ultras du capitalisme, du militarisme et de la religion, mais Dick Cheney n'abusait pas des bondieuseries. Au contraire, il invoquait volontiers le «côté sombre de la force», ce qui a lui a valu le surnom de «Darth Vader», qui est le nom du diable dans la mythologie imaginée par George Lucas.

L'ancien vice-président continue de défendre le déclenchement de la guerre en Irak sous de faux motifs et la pratique de la torture. Dans les entrevues destinées à promouvoir les ventes de son livre, il crache son fiel sur à peu près tout le monde, ce qui n'est pas de nature à civiliser un discours politique déjà ordurier.

Il tire surtout sur d'anciens collègues, dont Colin Powell et Condoleezza Rice. Il reproche au premier de ne pas être un joueur d'équipe (parce qu'il a mis en doute certains mensonges) et à la seconde d'être une braillarde et une naïve. Colin Powell, que Cheney a convaincu Bush de congédier à la fin de son premier mandat, dénonce aujourd'hui les «cheap shots» de son ancien collègue. En parfait gentleman qu'il est, il se porte surtout à la défense de Mme Rice.

Ambitieux ?

Une bonne partie de la presse américaine se déchaîne contre Dick Cheney ces jours-ci, le qualifiant de manipulateur et d'ambitieux, lui reprochant de s'être enrichi en faisant la navette entre le pouvoir et la société Haliburton. Le US News and World Report le dépeint comme «un guerrier qui n'a jamais porté l'uniforme, mais qui ne déposera jamais les armes». Cette description est assez sévère, mais on en trouve de bien plus assassines.

La famille politique de Dick Cheney ne se précipitera probablement pas à sa défense vu la nature de ses propos. «Darth Vader» ne compte pas beaucoup d'amis. Il est un des rares personnages publics dont les ennuis de santé — crises cardiaques à répétition — n'ont jamais suscité la moindre sympathie.

Un nombre impressionnant d'Américains croient littéralement tout ce que dit la Bible, contrairement à la plupart des Occidentaux. Cette naïveté a probablement permis à des démagogues de se hisser aux plus hautes fonctions en racontant n'importe quoi. Il y a un peu moins de dix ans, une majorité d'Américains croyaient qu'ils pouvaient s'endetter sans limites pour faire la guerre et que l'ennemi résidait dans le droit international et dans leurs propres lois. Aujourd'hui, les membres du Tea Party croient qu'on peut rembourser la dette nationale sans agir sur la colonne des revenus et que leur ennemi est un président socialiste dont ils doutent de l'américanité.

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