Perspectives - La fausse note du CPQ
Le Conseil du patronat accorde un «C» (pour cancre, probablement) au bilan québécois de la prospérité. Mais que vaut une telle note lorsque l'exercice consiste, essentiellement, à ramener la définition de la prospérité d'un État à sa capacité à créer un environnement favorable au développement des affaires? La crise de 2008, en plaçant le collectif au chevet de ses entreprises et institutions financières, a tôt fait de démontrer le côté réducteur de cette approche. D'autant que les économies ayant le mieux résisté à cette crise sont celles qui ont su se doter d'adoucisseurs empruntant à un capitalisme redistributif, plus socialisant.
Qu'est-ce qui importe? Le Québec, avec sa note C accordée pour une deuxième année, faisant moins bien que l'Ontario dans le classement du Conseil du patronat du Québec? Ou cette capacité affichée par le Québec à bien tenir le coup (mieux que l'Ontario) et à récupérer rapidement (plus vite qu'en Ontario) les emplois perdus lors de la Grande Récession? Le CPQ peut bien distribuer les bulletins de la prospérité comme bon lui semble, tant que l'exercice se limitera finalement à mesurer «là où il fait bon exploiter une entreprise», il se voudra peu convaincant.Il faut dire, également, que la cuvée 2011 du Bulletin de la prospérité du CPQ tombe plutôt mal. Au même moment, l'Organisation de coopération et de développement économiques (une organisation que l'on peut qualifier de droite) met en garde les États contre le réflexe des entreprises de vouloir récupérer, par l'abus, la montagne de pertes fiscales accumulées lors de la crise de 2008. Des centaines de milliards de dollars de pertes fiscales subies lors de la crise vont ainsi être récupérées, souvent par des entreprises n'ayant pas subi ces pertes, pour être appliquées en réduction (lire en annulation) des bénéfices futurs. Et ce, à un moment où les États croulant sous le poids de leur déficit public se retrouvent en soif d'entrées fiscales. L'OCDE a sonné l'alarme, avertissant les États du risque que les entreprises multiplient les tactiques empruntant à la planification fiscale «agressive» afin de récupérer ces pertes déductibles à des fins d'évitement fiscal.
L'Institute for Policy Studies (un organisme associé à la gauche) renchérissait hier (voir texte page B 3). Selon ses calculs, 25 des plus grosses entreprises américaines ont payé davantage en lobby ou en salaire à leur patron en 2010 qu'elles n'ont versé en impôts. En fait, nombre d'entre elles vont jusqu'à afficher un remboursement d'impôt malgré la comptabilisation de bénéfices milliardaires. Au chapitre de la solidarité sociale (un élément qui ne fait pas partie de la grille d'évaluation du CPQ), on repassera!
Dans le classement du CPQ, le Québec arrive pourtant premier de classe pour les coûts d'exploitation de ses entreprises et pour le taux de scolarisation postsecondaire. Il fait bien pour les dépenses en R&D, notamment. Mais il arrive derrière pour la formation liée à l'emploi, pour ses taxes sur la masse salariale et pour son salaire minimum trop élevé. Ce qui lui vaut un C. Sans égard à la responsabilisation des entreprises et employeurs quant à la formation et à la spécialisation de la main-d'oeuvre. Sans égard, aussi, à la contrepartie que seraient les coûts associés aux charges sociales, dont celles liées à la retraite, et aux primes d'assurance de la sécurité au travail, telles la CSST et l'assurance-emploi. Quant au salaire minimum, il peut être étrange qu'il soit relégué à un rôle négatif dans un calcul sur la prospérité d'un État.
Le CPQ reconnaît lui-même que son Bulletin porte essentiellement sur cinq déterminants de la prospérité, à savoir la qualité et la disponibilité de la main-d'oeuvre, le coût de la main-d'oeuvre, la réglementation, les finances publiques et l'environnement d'affaires. Une liste au demeurant très «corporative». L'Institut de recherche et d'informations socio-économiques (IRIS) n'a pas été sans lui rappeler que la prospérité d'une société n'est pas qu'une affaire de production de biens et services, qu'une mesure de PIB. C'est aussi une affaire de qualité de vie, d'environnement, de santé, d'éducation, de culture, de diversification économique, de valeur ajoutée, de répartition de la richesse, de réduction des inégalités...
Les premiers diront qu'il faut d'abord créer la richesse avant de la redistribuer (la décennie 1990 avec ses déficits publics chroniques l'a démontré). Les seconds diront qu'on ne peut avoir un portait fidèle et global sans mesurer aussi les coûts et les externalités associés à cette production de biens et services, et sans négliger la sauvegarde du potentiel de création de la richesse dans le futur.
Il faudrait ajouter à tout cela les leçons tirées des crises. Celle de 2008 a plus que jamais mis en lumière le rôle de l'État, de sa capacité d'intervention et des adoucisseurs composant ses programmes sociaux lorsque l'entreprise plie les genoux et multiplie les mises à pied, même préventives. Cela aussi devrait faire partie du calcul. Ici, le Québec récolterait une note parmi les plus élevées pour sa résilience lors de la crise de 2008.