Feu le chef de l'opposition officielle

Il a beaucoup été question de social-démocratie et finalement assez peu du Nouveau Parti démocratique à l'occasion des premières funérailles d'État consacrées à l'un de ses membres éminents. Ce n'était pas une omission.

Pendant les dernières semaines de sa vie, Jack Layton s'était activé à préparer ses propres obsèques. Il avait rédigé une lettre d'adieu à ses concitoyens. Il avait prescrit à ses proches le sens qu'il entendait voir donner à ses funérailles.

Dans ce scénario, c'est à Stephen Lewis, une figure de proue néodémocrate, qu'est revenue la tâche de recentrer la lettre du défunt chef néodémocrate en fonction de ses dernières volontés.

Le clan Lewis est au NPD ce que la famille Trudeau est au Parti libéral du Canada. Au début des années 70, le père, David, a dirigé le NPD fédéral. Pendant la même décennie, son fils a occupé des fonctions similaires à la législature ontarienne.

Ancien ambassadeur aux Nations unies sous Brian Mulroney, apôtre infatigable de la lutte contre le sida dans les pays les plus pauvres de la planète, Stephen Lewis a néanmoins transcendé ses racines néodémocrates depuis longtemps.

Il est aujourd'hui un personnage emblématique du courant social-démocrate au Canada. Samedi, sa mission consistait à s'assurer que les obsèques de Jack Layton sortent du cadre édulcoré des bons sentiments pour prendre un sens pleinement politique.

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Dans son allocution, Stephen Lewis a rappelé que Jack Layton était d'abord un homme de combat. Il a affirmé que sa lettre se voulait un manifeste social-démocrate et en a décortiqué les pans plus politiques que la couverture médiatique des derniers jours avait eu tendance à laisser de côté.

Devant le gratin du gouvernement de Stephen Harper — y compris le premier ministre lui-même —, il a longuement insisté sur la vision internationaliste du défunt chef néodémocrate et sur sa vision d'un Canada plus juste, au sein duquel l'État joue un rôle incontournable.

Même en ratissant aussi large, Stephen Lewis devait se douter que ses paroles feraient grincer les oreilles de plusieurs conservateurs. La droite canadienne actuelle véhicule une vision réductrice du rôle de l'État. Comme d'autres partis installés au pouvoir avant eux, bien des ténors conservateurs ont tendance à croire que leur conception fait désormais loi.

Mais 60 % de ceux qui ont voté aux dernières élections fédérales ont appuyé des partis qui souscrivaient à divers degrés à une autre vision, proche parente de celle articulée samedi.

Tous présents aux funérailles, les anciens premiers ministres Jean Chrétien et Paul Martin, la leader du Parti vert, Elizabeth May, l'ex-chef libéral Michael Ignatieff et son successeur intérimaire, Bob Rae, pouvaient s'identifier spontanément à une conception du Canada et de l'État qu'ils ont tous eu l'occasion de défendre — en particulier devant la montée de la droite des dernières années.

À tout prendre, Jack Layton n'aura finalement jamais été autant le chef de l'opposition officielle qu'à ses funérailles.

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Et la suite? Il y a un peu plus de dix ans, le Canada fédéraliste se recueillait en grande pompe autour de la dépouille de Pierre Elliott Trudeau. Ce jour-là, la terre, ou tout au moins la portion de celle-ci qui vit sous l'unifolié, semblait acquise aux valeurs et à la vision du Parti libéral.

Mais, depuis quelques années, le Canada est la scène d'une grande réingénierie fédérale. On assiste à l'émergence de deux coalitions reconfigurées. Le PLC ne joue un rôle central dans aucune d'entre elles. Leurs ponts en construction tentent d'enjamber le fossé Canada-Québec que les libéraux d'antan ont souvent contribué à creuser au nom de l'unité canadienne.

En vertu des critères traditionnels de la politique selon lesquels succès et pouvoir vont de pair, la droite de Stephen Harper a une sérieuse longueur d'avance. Installés au gouvernement à Ottawa depuis déjà cinq ans et pour au moins quatre autres années, les conservateurs pourraient prochainement dominer le paysage provincial.

L'embryon de coalition progressiste remaniée que laisse Jack Layton derrière lui a néanmoins déjà un caractère plus pancanadien. Par comparaison à sa contrepartie conservatrice, le Québec y occupe une large place.

Dans l'état actuel de la dynamique fédérale, il se peut que le Québec soit plus essentiel au succès électoral de la mouvance progressiste canadienne qu'à celui de la droite. Mais dans un Canada en bonne santé politique, l'absence d'une des composantes importantes de la fédération au sein d'une de ses mouvances principales — qu'elle soit de gauche ou de droite — ne serait pas considérée comme une vertu.

Aujourd'hui, l'idée d'une unification des forces progressistes canadiennes fait du chemin pendant que les forces souverainistes québécoises s'acharnent à se diviser. Ce n'est pas une coïncidence. L'échec des unes est au moins partiellement garant du succès des autres, et le vote québécois du 2 mai dernier est à la clé des deux phénomènes.


Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.

chebert@thestar.ca

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