Revue de presse - Jack Layton 1950-2011

Il n'y en a eu que pour Jack Layton cette semaine, évidemment. Un concert quasi unanime d'éloges pour son courage, sa carrière, la solidité de ses convictions, sa façon de faire de la politique. Les voix discordantes ont été extrêmement rares et... mal reçues. Christie Blatchford, du National Post, a été inondée de messages désobligeants après avoir dit ne pas s'étonner du spectacle fait par les médias de la mort d'un homme ayant vécu sa vie sous l'œil des caméras. Et la lettre de Layton aux Canadiens ne fait que montrer, selon elle, combien il «était un homme futé, acharné et profondément ambitieux». Elle trouve le document un brin vaniteux. Les larmes du public, quant à elles, viennent avec l'époque, où la nouvelle norme est de pleurer des gens célèbres qu'on n'a jamais croisés. Sa collègue du Post, Barbara Kay, a d'ailleurs remis en question la tenue de funérailles nationales. À son avis, personne n'a offert de raison valable pour faire fi de la tradition.

Le son de cloche était fort différent ailleurs, bien que souvent très redondant. Plus intéressants étaient les textes sur l'évolution de l'homme. Le Jack Layton que les Canadiens connaissent aujourd'hui est bien différent de celui qui a fait ses débuts politiques à Toronto.

L'ancien journaliste et éditeur du Toronto Star et actuel président du conseil de Torstar, John Honderich, écrit avoir croisé Jack Layton pendant 30 ans et n'avoir jamais cessé de le voir évoluer. De conseiller municipal rebelle, radical et rapide sur la gâchette, il est maintenant élevé — fait rare — au statut d'«icône politique». Honderich soutient qu'il a compris dès leur première rencontre qu'il avait affaire à un politicien naturel. Layton s'est rapidement imposé comme le champion des causes sociales, mais il était «impétueux, s'aliénant souvent des alliés naturels tout en faisant les manchettes, mais sans plus». Il a corrigé graduellement le tir, mais ses méthodes lui ont nui quand il a tenté sa chance à la mairie en 1991. Il a eu l'appui du Star, mais assorti d'un avertissement, à savoir qu'il «sembl[ait] incapable d'apprendre l'art du compromis nécessaire pour être maire». Layton avait pourtant l'impression d'avoir changé, mais ce n'était pas assez. Il retint la leçon quand il s'impliqua à la Fédération canadienne des municipalités, dont il devint président. Il fit sien l'enjeu urbain, y compris pour se distinguer durant la course à la direction du NPD en 2003. Le Star l'appuya encore, sans réserve cette fois. Même chose au printemps dernier, car «le Jack qui s'est présenté en avril à ce qui serait sa dernière rencontre éditoriale avec le Star était, c'est le moins qu'on puisse dire, un personnage très différent de celui des années 1980. Raisonné, incisif, confiant sans être agressif, très au fait des enjeux, en contrôle de la situation». Ce n'était pas la première fois que les gens autour de la table le rencontraient, mais la première où les mots «premier ministrable» leur venaient aux lèvres, dit Honderich.

Dans un texte où il s'interroge sur l'avenir du NPD, Jeffrey Simpson, du Globe and Mail, dit que le plus tragique est que la mort de Layton survient alors qu'il était au sommet de sa forme sur le plan politique. Il avait mûri comme leader et continuait de le faire. «Il laissait entrevoir une compréhension toujours plus grande du pays, pour qui il envisageait un ensemble de politiques réalistes et progressistes. Il aurait sûrement été un chef de l'opposition officielle redoutable.»

La force de l'image

Les premiers souvenirs de John Doyle, chroniqueur télé au Globe and Mail, ne sont pas agréables. Le Layton qu'il rencontre en début de carrière est un homme irritable, difficile. Le charisme viendra plus tard et graduellement, avant de le mener vers la victoire du printemps dernier. Doyle rappelle que la majorité des Canadiens découvrent leurs politiciens à travers la télévision et, généralement, durant une campagne électorale. Mais les gens doivent pouvoir s'identifier à la trame narrative du politicien pour que celui-ci perce l'écran. Selon Doyle, le message porté par Layton frappait plus que tous les autres. «Il y avait un élément clairement authentique, soit son rétablissement après la maladie et son courage à continuer sans s'arrêter en s'appuyant sur sa canne.» Cet homme qui avait été malade et sillonnait le pays d'un océan à l'autre à la poursuite de son idéal rappelait d'autres hommes qui ont tenté de faire de même, en fauteuil roulant ou en courant avec une prothèse. C'était l'image du sacrifice personnel, de la lutte contre les coups du sort. Doyle est convaincu que les histoires de Rick Hansen et de Terry Fox font partie de l'identité canadienne et ont forgé nos notions de courage et d'intégrité. «La campagne de Layton, vue à la télé jour après jour, connectait intuitivement avec ces histoires qui nous avaient touchés.» Et ces images sont devenues, pour bien des Canadiens, le pont vers la découverte du NPD. Les partis essaient toujours d'imposer une trame narrative qui les sert, mais dans le cas de Layton, croit Doyle, elle n'était ni fabriquée ni stratégique, en plus d'être très différente de celle des conservateurs où le sacrifice était défini en termes militaires.

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