Le dossier DSK s'épaissit
Je m'étais dit que je ne parlerais pas de l'affaire DSK parce que, depuis le début, je la trouve d'une vulgarité toute particulière. Ces hommes qui vivent au sommet des pyramides et qui tripotent le pouvoir depuis des décennies savent, en général, qu'ils peuvent être vulnérables à ce type d'accusations s'ils se permettent la moindre incartade. Ils développent habituellement une prudence qui leur est dictée par la position qu'ils occupent et comptent parfois sur un entourage bien formé pour les protéger d'eux-mêmes.
Et puis, je connaissais Anne Sinclair, son épouse. Elle a été une journaliste politique remarquable et on peut penser qu'elle n'a renoncé à son métier que pour ne pas nuire à la carrière de son mari. Elle avait la réputation d'être une intervieweuse sans compromis qui mettait la vérité au-dessus de tout. Il a fallu du temps avant que le public sache qu'elle disposait d'une fortune personnelle qui en faisait l'une des femmes les plus riches de France, ayant hérité de son propre père qui avait été un collectionneur de tableaux de maîtres. Il est difficile de croire que cette femme intelligente et reconnue comme telle n'ait pas tout su au sujet de son tendre époux, tout ce qu'on déballe en ce moment dans tous les journaux du monde entier.À moins qu'il n'y ait eu un pacte entre eux. Un pacte de quoi? Personne ne le sait vraiment. Un pacte comme celui qui a gardé Hillary Clinton aux côtés de son mari Bill, le défendant bec et ongles quand il s'est vu accusé lui aussi par des femmes qui parlaient d'un Bill Clinton que nous ne connaissions pas. D'autres épouses d'hommes célèbres ont fait le même choix.
«Stand by your man» dit l'une des chansons les plus populaires aux États-Unis. Ça semble être leur bible. Elles sont là pour les conférences de presse au cours desquelles les hommes reconnaissent leurs «erreurs» et implorent le pardon de ceux et celles que ç'a pu offenser. Elles leur tiennent la main. Si vous y pensez, il y a plein d'images qui vont vous revenir en mémoire. Des élus, des sénateurs, des gouverneurs..., un vieux qui draguait dans les toilettes publiques et un jeune beaucoup plus séduisant qui a renié un enfant né hors mariage sous les yeux de sa femme qui visiblement l'a cru longtemps. Elle est morte depuis...
Les maris sont des têtes d'affiche d'entreprises importantes ou de partis politiques et quand ils tombent de leur socle, ça fait du bruit. Elles sont là, stoïques, souvent silencieuses, sûrement fières d'être de bonnes épouses qui ne sabordent pas le couple quand il va mal. Le spectacle s'est répété si souvent au cours des dernières années qu'on a fini par s'en lasser. Disons-le franchement, DSK n'est pas le premier et ne sera pas le dernier. D'ailleurs, les politiciens sont-ils plus à risque que les sportifs, les golfeurs ou les joueurs de hockey, que les rock stars ou les humoristes?
DSK, lui, est dans le jus jusqu'aux oreilles. C'est tout son passé qui le rejoint. Après la femme de chambre de New York, une jeune écrivaine française l'accuse de tentative de viol et, pour en rajouter, la mère de celle-ci reconnaît avoir cédé à une aventure, accueillant les avances insistantes du même DSK un peu avant ce qui est arrivé à sa fille. La saga est loin d'être finie.
On n'a jamais autant parlé de viol qu'au cours des dernières semaines. Ce qui est une bonne chose, car c'est un sujet que personne n'aime aborder en temps normal. On fait semblant d'ignorer que dans certains pays en guerre, les femmes restent le butin que les vainqueurs se partagent après les combats ou que dans certains pays africains, des hommes violent des petites filles parce qu'on leur a dit que ces relations allaient les guérir du sida dont ils sont porteurs.
Chez nous, il arrive qu'on viole une vieille femme sur son lit d'hôpital ou qu'on enlève une fille au hasard pour en faire son jouet sexuel dans un motel crasseux et l'assassiner avant de l'abandonner dans un champ. Non, le sujet n'est pas joyeux et les femmes savent bien qu'il ne leur suffit pas de dire NON.
Un jour, une amie française m'a expliqué qu'il y avait plusieurs sortes de viols, les sordides et les passables. J'ai hurlé. Elle prétendait que les sordides étaient ceux qui se faisaient dans des conditions de peur, dans des lieux «dégueu» et avec la crainte au coeur. Les passables étaient ceux qui se faisaient dans le confort d'un lit propre, dans un lieu rassurant, avec toutes les attentions nécessaires.
Pour moi, un viol est un viol, une relation sexuelle non consentie. Tant que des femmes françaises vont considérer que le viol peut être une sorte d'hommage de la part d'un homme qui ne peut plus se contrôler devant le charme d'une femme, DSK et ses semblables ont de l'avenir devant eux.
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.