Théâtre - Festival d'Avignon: mode d'emploi

Après un passage à vide inquiétant, Avignon est redevenu en l'espace de quelques années un des plus importants festivals de théâtre de la planète. Rencontre avec Hortense Archambault, l'architecte, avec Vincent Baudriller, de ce retour en force.

Le Devoir à Avignon

Hortense Archambault et Vincent Baudriller en sont déjà à leur huitième Festival d'Avignon... à titre de directeurs, faut-il préciser, puisque tous deux sont arrivés au Festival il y a beaucoup plus longtemps. «Nous sommes des gens de l'intérieur, souligne Hortense Archambault en souriant discrètement. Vincent comme moi avons travaillé ici de nombreux étés avant d'occuper un poste de direction; nous connaissons bien tous les rouages.» Il faut rappeler que, lorsqu'ils ont pris les rênes de ce que l'on considère de nouveau comme l'un des plus importants festivals de théâtre de la planète, toutes langues confondues, Avignon n'était plus tout à fait lui-même.

On disait alors, du festival fondé par Jean Vilar en 1947, qu'il s'éparpillait. Qu'il allait dans toutes les directions sans vraiment aller nulle part. Certains prétendaient même qu'il avait fait son temps et qu'il allait sombrer face au développement fulgurant de l'Off qui, lui, a littéralement pris possession de la ville au cours des dernières décennies. Depuis leur arrivée, le balancier s'est inversé et les avis sont redevenus unanimes quant à l'importance et l'influence du Festival d'Avignon. Comment s'y sont-ils pris?

Des atouts

Nous sommes dans une des cours intérieures du cloître Saint-Louis, qui abrite les bureaux du Festival, derrière les remparts, quelques jours après l'ouverture officielle de cet événement qui transforme la Cité des papes en une immense foire théâtrale à ciel ouvert et qui draine des foules considérables durant trois semaines aussi intenses que chargées. La codirectrice raconte d'abord que le tandem Archambault-Baudriller a tout simplement misé sur les principaux atouts du Festival d'Avignon.

«Ils sont nombreux, ces atouts, mais soulignons qu'Avignon est d'abord un festival de création qui favorise la prise de risques. Nous faisons des paris avec des artistes contemporains qui vont livrer leur travail dans des lieux qui n'ont pas été construits pour le théâtre mais qui sont souvent très chargés historiquement et symboliquement. Ce qui nous a amenés à réfléchir, entre autres, sur le rapport entre la pièce et le lieu dans lequel elle est présentée.»

Sous le soleil qui tape, Hortense Archambault poursuit en parlant aussi du fait qu'Avignon est un festival dans lequel les spectateurs jouent un rôle extrêmement important: ils viennent de partout et assistent chacun à plusieurs productions. Ils savent qu'ils peuvent entendre les créateurs parler de leur oeuvre, ici tout à côté, dans la cour du cloître, avant même qu'elle soit présentée. Et qu'ils peuvent aussi, plus tard, dire ce qu'ils pensent du spectacle après l'avoir vu et dialoguer avec l'équipe de création à l'École d'art. À ce chapitre, il faut rappeler que le spectateur du festival se voit offrir l'occasion de partager les réflexions de grands intellectuels comme Edgar Morin ou Jacques Derrida qui, comme d'autres, sont invités ici régulièrement pour discuter des questions mises en relief par les spectacles. Avignon est redevenu un lieu de rencontre pour tous les mordus de théâtre, une mine, un puits de savoirs et d'expériences partagés. Une sorte d'université populaire comme l'avait souhaité Vilar en créant le Festival d'Avignon.

Démultiplier les regards

Tout cela, et bien d'autres initiatives que l'on trouvera sur le site du Festival, est bien concret et fort stimulant, mais c'est sans doute le lien avec le créateur qui a permis à Avignon de redevenir Avignon. Hortense Archambault poursuit: «C'est une véritable association que nous proposons à l'artiste que nous invitons chaque année et qui investit deux ans de présence auprès de l'équipe du Festival. L'essentiel de notre travail repose sur la rencontre de cet artiste. Nous voulons connaître ses préoccupations et ses questionnements, savoir ce qui l'allume, qui l'allume, aussi. Nous passons beaucoup de temps avec lui, chez lui aussi, pour saisir ce qui l'habite et le monde dans lequel il vit. Dans ce dispositif d'accompagnement, l'artiste associé est convié à plusieurs rencontres et discussions, mais il ne fait pas office de programmateur; par contre, c'est à partir de la rencontre de son monde et des choses qui le hantent et l'inspirent que nous tissons ensuite notre programmation, sans parler formellement de thématique ou de fil rouge.» Cette année, l'artiste associé du Festival est le danseur et chorégraphe Boris Charmatz.

La formule est riche, c'est le moins que l'on puisse dire, et permet de présenter un éventail de propositions diverses débouchant chaque fois sur un monde démultiplié. Comme si chaque édition du Festival devenait une oeuvre ouverte... Hortense Archambault confirme en disant qu'elle se voit fort bien dans le rôle de la conservatrice d'une grande exposition qui revient chaque année. Place donc, au cours des semaines qui viennent, à l'exposition Avignon 2011.

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