Et puis euh - Bruits de fond

Parlez-moi un peu de ça. Il doit s'agir de résilience, ou de quelque chose d'approchant. Quand les circonstances sont contre vous, genre, en vertu d'un sombre complot ourdi par les forces du mal, et que vous parvenez à vous relever les manches même si vous êtes en camisole et à surnager en aux troubles, en quelque confuse sorte.

Exemple patent: Novak Djokovic. Le tennisman serbe connaît une année de rêve, lui qui n'a perdu qu'un match, à Roland-Garros, de toute la saison jusqu'à maintenant. Or à mi-chemin du tournoi de Wimbledon, le week-end avant-dernier, Djokovic avait fait part de son «état de détresse». Motif: son caniche Pierre, qui l'accompagne partout (et possède un compte Twitter), avait été interdit d'entrée en Grande-Bretagne et il était donc retenu en France. Une «source dans le camp Djokovic» avait même indiqué au Daily Telegraph de Londres que le jeune homme était «vraiment en colère».

Et au bout du compte, c'est qui qui a gagné Wimbledon? En plein cela. N'est-ce pas sublime quand un seul individu se lève et pourfend à sa manière la bêtise des autorités?

Par ailleurs, il y avait hier matin dans le métro un intellectuel qui parlait tout seul et frappait avec un bâton sur une chaudière. Sans arrêt. Il avait l'air de se trouver pas mal drôle, malgré les regards courroucés de ses voisins, dont j'étais. Une chance que je n'avais que deux stations à faire, sinon je serais sans doute en train d'écrire ceci vêtu d'une camisole de force (le thème d'aujourd'hui est effectivement la camisole).

Puis, à tête reposée, je songeai à cet autre génie qui faisait jouer de la musique de poil à fond la caisse dans son bazou et j'en arrivai à une conclusion provisoire: l'humain ne se sent jamais autant exister que lorsqu'il fait du bruit.

Et puisqu'il est question de tennis et de bruit, le lien vers les joueurs, et surtout les joueuses, qui s'époumonent à chacun de leurs coups ne tarde pas à surgir. Il s'agit d'un problème qui va croissant, a dit le directeur du tournoi de Wimbledon Ian Ritchie, avec la jeune génération qui n'a pas été «éduquée» à l'étiquette à observer sur un court.

On croirait parfois entendre quelqu'un se faire torturer. Cette année, la championne à l'All-England Club a été Victoria Azarenka, du Belarus, qui a été mesurée en train de mugir à 95 décibels. Selon mon tableau comparatif, ce serait l'équivalent d'une rame de métro circulant à 200 milles à l'heure. (Personnellement, je n'ai jamais vu ou entendu un train souterrain circuler à 200 milles à l'heure, mais bon, l'un des grands plaisirs de la vie consiste à imaginer des choses.)

La marque historique appartient à Maria Sharapova, qui a été enregistrée à 105 décibels en 2009, tout juste en deçà de la tondeuse à gazon.

La BBC a reçu tellement de plaintes qu'elle a mis en service cette année un gadget que l'on peut télécharger. NetMix permet d'abaisser le son en provenance du terrain et d'augmenter celui des commentateurs, et vice-

versa. Évidemment, certaines langues pas propres ont persiflé que, dans bien des cas dans d'autres sports, il serait plutôt tentant de faire taire les commentateurs.

Et étrangement, quelques exemples se pointent aussitôt dans notre esprit.

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Vous serez heureux d'apprendre qu'avait lieu hier à Coney Island, à New York, le championnat annuel d'ingurgitation de hot-dogs présenté par Nathan's. Un événement proprement enchanteur, qui fait ressortir le meilleur de l'humain, cette merveilleuse bête qui cherche à se désennuyer en attendant la mort par tous les moyens possibles, dont l'empiffrage n'est pas le moins exotique. Il est rassurant, après tout, de savoir qu'on ne crèvera pas de faim.

Selon un sondage pas très scientifique mené sur espn.com, 82 % des répondants croient que la gloutonnerie de compétition n'est pas un sport, mais qu'à cela ne tienne. Pour une analyse de la discipline sous toutes ses coutures, il fallait se rendre, ces jours derniers, sur des sites à caractère sportif. Nomenclature des denrées utilisées: un gars a déjà mangé trois oignons crus en moins d'une minute, un autre se spécialise dans le beurre, et ainsi de suite jusqu'à la nausée, comme disait Jean-Paul Sartre, qui croyait d'ailleurs que tout cela et le reste n'ont aucun sens. On pouvait même retrouver un épisode de l'excellente série Sport Science, dans lequel on expliquait l'importance d'avoir une mâchoire développée, un oesophage leste et un estomac indépendant d'esprit.

Cela pour dire que le Californien de 27 ans Joey «Jaws» Chestnut a remporté un cinquième titre mondial consécutif en avalant 64 chiens chauds en 10 minutes, lui dont le record de tous les temps établi en 2009 est de 68. Chez les dames, Sonya «The Black Widow» Thomas, 43 ans — ainsi surnommée parce qu'elle peut vaincre des mâles beaucoup plus gros qu'elle, qui fait 5 pieds 5 pouces et pèse 100 livres —, s'est imposée avec 40 hot-dogs dans ces mêmes 10 minutes. Sa marque personnelle est de 41 (et de 65 oeufs durs, son aliment préféré bien qu'elle ne soit pas difficile, en 6 minutes 40).

Pour vos archives, on notera par ailleurs que Major League Eating, le circuit qui encadre cet exercice hautement technique, qualifie ses joueurs d'«armes de digestion massive».

Oui oui: tant de chemin parcouru depuis l'amibe pour en arriver là.

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