Gavés de 3D

Même si les premières expériences dataient des années 50, le cinéma en trois dimensions a longtemps rimé pour moi avec écran géant. Dès le début de la décennie 1990, je me farcissais, dans le cinéma Imax du Vieux-Port, des documentaires qui m'entraînaient en pleins abîmes océaniques. Plongeon en avion dans le Grand Canyon, visite de l'épave engloutie du Titanic ou, dans le plus insolite des cas, concert des Rolling Stones. «Comme si vous y étiez», assurait la promo. C'était un peu vrai.
Calée dans mon siège, pour mieux vivre le bain d'immersion derrière les lunettes idoines, livrée aux sensations fortes comme sur les montagnes russes. Plaisir coupable? Un peu. Était-ce du cinéma ou autre chose? Le jeu laissait étourdi et gavé d'images. Pourquoi pas?Est-ce qu'on devient blasé? À croire que oui. Car l'éclatement du genre, ces dernières années, a assouvi nos petites ivresses. On a trop vu de films en 3D, un procédé, veux veux pas, limité. La frénésie du relief qui culmina en 2009 avec Avatar de James Cameron perd du terrain.
Cette semaine, je suis allée voir l'animation Cars 2 (Les Bagnoles 2) de John Lasseter, dans la nouvelle salle Imax équipée 3D du Forum AMC. Il faut dire que le premier Cars en 2006, tout simple et touchant avec ses autos à mimiques humaines, dégageait un charme fou. Cette suite, sur une intrigue compliquée, s'offre un petit tour du monde et dilue ses émotions. Dommage! Du moins, les effets 3D sont bien utilisés, pas trop racoleurs, même si à l'atterrissage les sensations fortes s'émoussent en douce. Fini, l'effet de surprise.
C'est bien pour dire: plus le bassin de salles équipées en Amérique du Nord et ailleurs pour le 3D augmente, moins les spectateurs ont envie de s'en prévaloir. Ça hausse le coût du billet et, comme les gens s'y rendent en famille... Les productions en relief se démultiplient encore, faut pas croire — même au Québec, Éric Tessier entamera en janvier prochain le tournage de Pee-Wee, un film sur le hockey en 3D —, mais la vogue s'essouffle du côté de la demande. Le bon côté de la chose, c'est ce bassin de salles converties au numérique, servant aussi les productions indépendantes tournées à peu de frais. Mais le but premier de ces conversions fut de dérouler le tapis rouge au 3D.
L'influent critique américain Roger Ebert du Chicago Sun-Times grogne depuis longtemps contre cette technique, si onéreuse pour le spectateur, qui procure à tout un chacun nausées et migraines. Les animations, les grosses productions à effets spéciaux y ont trouvé à boire et à manger. Pas les films dramatiques de haut niveau, sans pétarades, explosions ou objets à tirer sur le nez du client, qui ne gagnent rien à arpenter ce champ-là. Ebert balaie le 3D comme effet de mode, voué à l'éphémère.
Il n'est pas le seul et il n'a pas tort. D'ailleurs, Hollywood, qui a mis trop d'oeufs dans ce panier-là, s'arrache les cheveux.
De plus en plus de spectateurs rechignent à payer pour l'expérience en trois dimensions et préfèrent s'offrir la version du même film en mode traditionnel.
Il faut aussi blâmer la paresse des studios. Rares sont les cinéastes qui tournent en 3D comme le fit Cameron pour Avatar. Ses émules, en bons opportunistes fleurant le pactole, ont opté souvent pour le moindre effort, ni vu ni connu. Ils tournent en deux dimensions, en rajoutent une à l'heure de la postproduction, comme Tim Burton avec Alice in Wonderlands. Et hop là! Sauf que ça paraît. Certains de ces films offrent si peu d'effets en relief que le public brûle d'envie de crier à l'attrape-nigaud. Ce fut le cas avec Hoodwincked, la véritable histoire du Chaperon rouge. Idem pour les derniers volets de Pirates des Caraïbes et de Kung Fu Panda. Les précédentes versions de ces films, qui glanaient 50 % de leurs recettes au 3D, peinent désormais à atteindre ainsi la barre du 40 %. Autant le voir en 2D, pour ce que ça change, ont vite compris, pas bêtes, les amateurs de films de divertissement... Même Green Lantern, qui vient de gagner les écrans, fonctionne mieux en deux dimensions qu'en trois.
Tout gadget se voit par nature déclassé par un autre. La course du rat commande d'innover sans répit. Haut les coeurs! Les fauteuils vibrants, les souffleries, les brumatisateurs et autres gracieusetés toniques deviennent les nouvelles sirènes jetées à l'eau par l'Amérique pour appâter le client. Mais entre vous et moi, on s'en lassera aussi.
Prochaine étape: éliminer les lunettes. Plusieurs s'y affairent au Japon, en France et ailleurs. Oui, mais encore...
J'ai l'impression qu'Hollywood, leader en matière d'innovations minute, devrait revenir aux bonnes vieilles techniques éprouvées en son âge d'or: un bon scénario, un oeil de cinéaste, des performances d'acteurs. Rêvons, mes frères...
Là-dessus, notez que cette chronique s'interrompt pour cinq semaines. Bonnes vacances à tous!
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