Perspectives - Famine politique
Le G20 tiendra cette semaine une réunion importante sur la volatilité des prix des produits alimentaires. On annonce quelques avancées sur ce problème grave qui ne pourra être résolu qu'à force de temps et de politiques adéquates.
Les ministres de l'Agriculture des pays du G20 se rencontreront mercredi et jeudi à Paris pour discuter du problème de la volatilité des prix mondiaux des denrées et chercher des moyens de renforcer la sécurité alimentaire. Cette première doit mener à l'adoption d'un plan d'action commun après cinq années de forte instabilité des prix et en réponse au cri lancé par les émeutes de la faim de 2008.Le président français, Nicolas Sarkozy, a tout de suite affiché ses couleurs, la semaine dernière, à Bruxelles, en se lançant dans une charge à fond de train contre la «financiarisation» des marchés agricoles et les spéculateurs, et en en appelant à un resserrement de leur régulation. Agacé par la circonspection du président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, qui osait évoquer la complexité du problème et la menace de concurrence de législations plus permissives, l'hôte de la réunion de cette semaine s'est permis de rappeler à son «ami José Manuel» que les organisations «mafieuses» aussi étaient «complexes». «Parce qu'un pays ne combat pas les mafias, doit-on pour autant renoncer à combattre la mafia?», a-t-il lancé devant un parterre d'experts médusés, rapportait Le Monde.
Trois jours plus tard, l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont dévoilé un rapport «prudemment optimiste» prédisant une hausse moyenne des prix plus forte au cours de la prochaine décennie que durant la précédente à raison de 20 % dans les céréales et de 30 % pour la viande. Ces hausses seraient principalement attribuables à une augmentation de la demande, due notamment à la croissance démographique et au changement d'alimentation dans les économies émergentes, ainsi qu'à une offre contrainte par des coûts de production élevés, de difficiles gains de productivité et un détournement d'une part grandissante des récoltes vers les biocarburants.
Ces prix risquent aussi de continuer à être soumis à des fluctuations importantes, a-t-on prévenu. Plusieurs facteurs sont cités. Le premier est les inévitables hasards de la météo, mais aussi les changements climatiques qui semblent en voie de bouleverser les écosystèmes de régions entières. On évoque également les variations des stocks, des prix de l'énergie, des taux de change et des politiques commerciales. En ce qui concerne la spéculation, on dit qu'elle tend à amplifier les mouvements de prix à court terme, mais que l'on n'a pas de preuve «conclusive» d'effets à plus long terme.
Problème complexe
Un tel ensemble de facteurs en appelle nécessairement à un ensemble de solutions. La déclaration définitive de la réunion du G20 de cette semaine en contiendra quelques-unes, ont rapporté vendredi des journaux ayant profité de fuites. On s'y engagerait notamment à mettre en place un «système d'information du marché agricole» placé sous l'égide de la FAO et visant à partager l'information quant à l'état de la production, de la demande et des stocks dans des marchés qui manquent singulièrement de transparence. Cette banque de données, à laquelle les grands groupes de privés, comme Cargill, Bunge et ADM, seront «vivement» encouragés à participer, devrait servir aux travaux d'un nouveau «Forum de réponse rapide» composé d'experts des principaux pays producteurs, exportateurs et importateurs. L'objectif de ce forum sera d'intervenir pour contrer une inflation trop rapide des prix et améliorer la coordination politique dans un domaine où l'on revient rapidement au chacun-pour-soi.
Les vingt ministres de l'Agriculture se prononceraient en faveur d'une régulation efficace des marchés des produits dérivés tout en laissant à leurs collègues des Finances la tâche de s'occuper de cette bataille contre les spéculateurs. La question des biocarburants serait, quant à elle, renvoyée à de nouveaux comités d'études.
Les experts et défenseurs des pays pauvres consultés par la presse ont salué ce premier pas tout en déplorant sa trop grande timidité. On aurait voulu, entre autres choses, de nouvelles ressources financières pour aider la recherche et le développement, ainsi que la constitution de réserves stratégiques dans les pays les plus vulnérables. On aurait aimé surtout que soit abordée la question des changements climatiques et de la nécessité de passer à un modèle de développement plus durable.
Dix des plus grandes organisations internationales concernées avaient dévoilé, au début du mois, un rapport où l'on en appelait aussi à l'adoption de règles commerciales plus justes et à la mise en place d'un ensemble de politiques sociales et économiques destinées spécifiquement aux petits exploitants agricoles qui produisent 86 % des denrées de base dans les régions pauvres.
«Reconnaissons notre erreur, écrivait la semaine dernière dans le quotidien britannique The Guardian Olivier de Schutter, rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation. La faim n'est pas le résultat de problèmes démographiques, ni d'un mauvais amarrage entre l'offre et la demande. C'est principalement le résultat de facteurs politiques qui condamnent les petits fermiers à la pauvreté. Parmi ces facteurs, on retrouve le manque de terre, d'eau et de crédit; la mauvaise organisation des marchés locaux; le manque d'infrastructures; et l'absence de rapport de force face à un secteur agroalimentaire de plus en plus concentré.»
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.