Essais québécois - De la désobéissance au féminin

Pour raconter quelques épisodes marquants de sa vie, la journaliste Geneviève St-Germain a choisi le titre de Carnets d'une désobéissante. Mais à quoi, au juste, a-t-elle désobéi? Au diktat social qui, selon elle, imposerait aux femmes de se taire, à l'heure des choses sérieuses. «Que des femmes papotent, placotent, jasent et donnent leur avis sur tout et sur rien, passe encore, écrit St-Germain. Mais qu'elles s'arrogent le droit de parler d'autorité et aussitôt un mur de mépris ou de raillerie s'élève. En d'autres mots, on admet difficilement le sérieux de la parole féminine.» La journaliste, qui a connu de durs échecs professionnels, se présente clairement comme une victime de cette misogynie ambiante, doublée de l'«émulation toxique basée sur le critère de la beauté physique et du sex appeal» à laquelle se livrent les femmes entre elles.
St-Germain, dans cette confession, lève le voile sur un parcours qui l'a menée à la dépression. Elle critique sévèrement l'univers des médias électroniques qui l'a brisée, mais elle reconnaît aussi être issue d'une généalogie qui la prédisposait à une certaine fragilité émotionnelle.Le portrait qu'elle trace de sa famille, en ouverture de ses Carnets, constitue le moment fort de son témoignage. «Je suis née, écrit-elle, dans une famille de dépressifs qui pratiquaient la dérision comme un sport de compétition et feignaient de ne pas se prendre au sérieux plutôt que de se tuer.» Ses parents, ajoute-t-elle, vénéraient l'art et la grandeur et méprisaient les gens simples et ordinaires. Sa grand-mère était une excentrique aimante, incapable de faire cuire un oeuf. La mère recevra des électrochocs, en 1949, et la grand-mère fera quelques séjours à l'asile. «Les mères déprimées, conclut un peu tristement St-Germain, ne sont généralement pas de très bonnes mères.»
Même si elle dit remercier Dieu pour la folie de ses parents, qui lui ont aussi transmis leur tempérament artiste, St-Germain est forcée de constater qu'elle en garde des marques. À 20 ans, jeune étudiante en lettres à McGill, elle s'amourache d'un pusher qui lui fait vivre la grande vie romantique sur fond de danger. Larguée, elle se morfond dans l'attente, envahie par un sentiment de rejet. Elle évoque aujourd'hui sa «carrière d'attentiste de compétition», une attitude qu'elle attribue à son enfance vécue dans l'ombre d'une mère «insensible à [son] ardeur».
Les pages que St-Germain consacre à ses expériences dans les médias sont nettement plus décevantes. La journaliste y dépeint un univers pourri par le narcissisme, la compétition cruelle et le népotisme. «J'en ai conclu que, bien souvent, ni le talent ni le mérite ne sont en cause, mais qu'il s'agit plutôt d'un ésotérique amalgame de chance, de timing et d'accointances diverses, explique-t-elle. C'est rarement qui l'on est, ni ce que l'on est capable de bien faire, mais plutôt qui l'on connaît, qui peut changer le cours d'une carrière.» Pour illustrer ce climat, St-Germain évoque des animateurs égocentriques et dominateurs, ainsi que des patrons livrés à l'arbitraire, mais elle ne nomme personne. Le résultat est une généralisation très peu convaincante. Qui sont ces goujats des médias? Quand c'est tout le monde, c'est personne, et ce qu'on en dit vaut du vent.
St-Germain attribue ses difficultés à s'imposer dans cet univers à son attitude de femme de tête, aux opinions sérieuses. Or, là encore, sa démonstration tourne court. On sait, par exemple, que la journaliste est féministe, tout en réclamant le droit à une coquetterie de luxe, mais, pour le reste, c'est le vide. Si la journaliste a, comme elle le prétend, des idées fortes, on aimerait savoir lesquelles.
Le récit de sa dépression-guérison qui conclut l'ouvrage ne manque pas de sincérité, et il serait inconvenant de le juger. Chacun s'en sort comme il peut. Il contient toutefois des affirmations générales qui appellent quelques remarques.
Par exemple, l'idée selon laquelle c'est «une manie de l'époque de se sentir bien à tout prix» doit être relativisée. S'il est vrai que le véritable état dépressif suscite encore l'incompréhension, il est tout aussi vrai que les médias «madamisés» donnent sans retenue dans l'attitude de la complainte et du droit à l'imperfection. Le syndrome «Oprah je suis une victime, j'ai mes blessures, le monde me veut parfaite, mais je ne le suis pas et j'en ai le droit» ne relève pas, dans ce milieu, de la courageuse désobéissance, mais bien d'une doxa psycho pop de plus en plus insupportable et que St-Germain n'évite pas.
La même remarque s'applique à l'idée selon laquelle «dans l'hypermodernité, suivre une voie spirituelle est sans doute une autre façon de manifester de l'indocilité». Cela est certes vrai pour ceux qui se réclament du catholicisme. Les spiritualisants mous, comme St-Germain, qui se réclament d'un vague «plan divin», d'une improbable «force invisible qui gouverne le monde» et, pourquoi pas, tant qu'à y être, d'un «secret», participent au contraire pleinement de l'air du temps gnangnan.
À la manière d'une Denise Bombardier, Geneviève St-Germain cultive plus la posture de la désobéissance qu'elle ne désobéit vraiment.
Des étudiantes chez Sand
Séparée de son mari, fumeuse de cigares et mondaine socialiste, George Sand savait un peu ce que désobéir veut dire. Baudelaire, qui la détestait, la traita même, un jour, de «latrine». Hugo, lui, la qualifia d'«immortelle». La juriste Renée Joyal, qui partage le point de vue de ce dernier, a animé, en 2008, à l'UQAM, dans le cadre du cours Histoire, culture et société, un séminaire de lectures sur la grande romancière.
Préfacé par Lise Bissonnette, George Sand toujours présente regroupe des analyses de l'oeuvre, rédigées par de brillantes étudiantes en sciences humaines. En explorant avec soin et intelligence les thèmes de l'amour, du perfectionnement personnel, du réalisme, de l'espace mythique, des rapports nature-ville-campagne et du féminisme dans les romans sandiens, Audrey Gendron, Jeanne Gaudreau Rousseau, Catherine Larochelle, Corinne Loumède, Karine St-Germain-Blais et Dominique L. Valcourt montrent la richesse d'une oeuvre importante, peu connue au Québec.
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