Médias - L'accélérateur de conformisme

Ce matin, la direction de la radio de Radio-Canada (RC) lance la programmation d'été de la Première Chaîne. On sait déjà un peu ce qui se prépare. Par exemple, Isabelle Richer en fin d'après-midi et Catherine Perrin les matins de week-end. Quelles bonnes idées!

Franco Nuovo dirigera les matinées de semaine. Il prend dès ce matin le relais estival de Christiane Charette qui ne reviendra pas la saison prochaine, après cinq années de service.

Pour sa dernière, vendredi, l'émission a encore concentré au pur sucre certains travers de beaucoup de médias et de celui-là en particulier. Décantons donc tout ça un peu, une dernière fois.

La journalisation


Première évidence: Radio-Gesca se portait toujours très bien, merci. Pour les deux premiers segments, les panels de Christiane Charette rassemblaient neuf invités-commentateurs, dont cinq journalistes-chroniqueurs de La Presse, propriété de Gesca.

Deuxième évidence liée à la première: les journalistes dominent impérialement le commentaire médiatisé. Appelons ça la journalisation des médias, d'ailleurs parfaitement compatible avec la «madamisation» et la trivialité généralisées. Ils étaient six collègues pour la revue de l'actualité. Que des gens, ou presque, que l'on entend déjà partout, qui ont leur chronique, qui font métier de déverser des opinions sur tout.

«Cette dernière revue de l'actualité démontre bien pourquoi cette émission devait se terminer, a ensuite écrit un auditeur sur le site de l'émission. Malgré la présence de six invités, presque aucune divergence n'est exprimée, tous répétant plus ou moins la même chose, convaincus de tout savoir, frappant d'anathème ou donnant leur aval du haut de leur chaire (sauf peut-être pour Yves [Boisvert]). Tous tellement prévisibles, stériles à la limite, incapable de penser en dehors d'un certain conformisme et d'une certaine bien-pensance. Le droit à la divergence est-il toujours possible dans ce type d'émissions à Radio-Canada? Allez écouter France Inter, RTI, NPR, la BBC, même la CBC pour voir ce qu'est une radio à la pensée riche, complexe, diversifiée et souvent contradictoire.»

Je connais l'accélérateur de conformisme: j'en suis. Ce n'est pas une raison pour l'étendre ou le défendre.

La discussion de vendredi au sujet de la circulation sur le Plateau Mont-Royal exposait jusqu'au cliché ce triomphe pernicieux du trop-plein de ritournelles médiatiques. Le panel a répété des lieux communs, des grossièretés et des insultes sans jamais, ou si peu, contextualiser le problème, ni le comprendre ou l'expliquer. La plus gueularde a résumé ainsi la position du maire de l'arrondissement montréalais Luc Ferrandez: «Tuons les automobiles et les automobilistes!»

Des attaques aussi subtiles ont été lancées au cours des derniers jours chez Dumont (à V), à La Presse, dans Le Devoir. Le matin même de la discussion à six de RC, une étude de Vélo Québec, évidemment non citée, révélait que la part modale des déplacements en bicyclette vers le travail compte pour à peu près 2 % à Montréal et 10 % sur le Plateau. Elle franchira bientôt le seuil des 40 % dans certaines villes européennes où les «chars» sont d'autant mieux portants qu'ils subissent moins de concurrence sur la route.

Cet exemple rappelle que l'information est une chose bien trop importante pour la laisser aux seuls reporters et chroniqueurs qui exercent leur pouvoir en s'exonérant parfois bien tristement de leurs responsabilités. Le journaliste-essayiste Jean-Claude Guillebaud parle d'«avalement» pour désigner ce phénomène, en ce sens que tout se passe comme si le médiatique ingurgitait l'une après l'autre les institutions en crise, l'éducation comme la culture, l'identité comme la justice, la politique ou l'urbanisme. Seulement, ajoute-t-il, cette «omnipotence malsaine» charge le journalisme de responsabilités pour lesquelles il n'est «ni préparé ni armé».

Les médias sont censés porter la pensée critique et la diversité des points de vue sur le monde. Enfin, idéalement. L'impératif éthique fondamental de la presse libre inviterait à élargir sans cesse les choix et les possibilités, pas à les confisquer pour soi-même pour subtiliser la vulgarité à la vulgarisation. Et encore une fois, si Radio-Canada ne le fait pas, quel autre média de masse et de qualité le fera en ce pays hyperconcentré?

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

À voir en vidéo