La mode québécoise: un style en mutation

Une robe de Nadya Toto, présentée à la dernière Semaine de mode de Montréal
Photo: Jimmy Hamelin.com Une robe de Nadya Toto, présentée à la dernière Semaine de mode de Montréal

On a cru la mode québécoise en péril après qu'elle eut encaissé des revers, des échecs et des désastres sans fin pendant plus de 15 ans. Pourtant, au terme d'une longue traversée du désert, voilà qu'elle nous revient sur la pointe des pieds, plus sage et plus mature, encore fragile, bien sûr, mais porteuse d'espoir et de renouveau.

Si la tendance se maintient, elle pourrait dans quelques années retrouver tout son lustre et son panache, car plusieurs de ses principaux intervenants proposent aujourd'hui un discours renouvelé et visionnaire, une démarche plus solidaire et de multiples pistes de solution qui démontrent bien qu'on a enfin appris des leçons et des erreurs du passé.

Pour mieux comprendre ce que cette industrie a dû subir au cours des dernières années, il faut évidemment relever un certain nombre de faits qui l'ont conduite au bord du gouffre. Rappelons que, après l'euphorie et les succès de notre prêt-à-porter dans les années 1970 et 1980, la décennie 1990 nous aura ramenés à la dure réalité avec notamment l'hécatombe de notre industrie textile. Qu'il suffise de mentionner, parmi tant d'autres, la fermeture des cinq usines de Cleyn and Tinker à Huntingdon, en 2004, qui entraînera la perte de plus de 800 emplois.

L'onde de choc provoquée par les fermetures de plusieurs de nos plus grands fabricants, dans les années 1990, de même que les faillites d'Eaton en 1999, après plus d'un siècle d'existence, des boutiques San Francisco et des magasins haut de gamme Les Ailes de la mode, en décembre 2003, allaient sonner le glas de nos illusions. Pire encore, Montréal mode, qui a été lancé en grande pompe en juin 1999 par la Caisse de dépôt et placement du Québec et qui devait soutenir, distribuer et promouvoir les designers d'ici, a dû cesser ses activités à l'automne 2002 après avoir outrageusement englouti 30 millions de dollars, envolés en fumée: une honte et un scandale qui doivent nous servir de leçon pour l'avenir!

L'abolition en 2003 de la Fondation mode matinée, qui, pendant plus de dix ans, avait octroyé plus de 50 millions de dollars sous forme de bourses à plus d'une centaine de créateurs à travers tout le Canada, doit également être perçue comme une grande perte.

Le gala de la Griffe d'or, le rendez-vous annuel télévisé de la mode québécoise sur les ondes de TVA, qui a été mis sur pied par le ministère de l'Industrie et du Commerce et qui visait à célébrer l'excellence et la reconnaissance de nos meilleurs designers, sera supprimé en 2000 après dix ans de succès ininterrompus.

On ne peut que déplorer le fait que la grande majorité de la production de vêtements s'est déplacée vers l'Asie. Cette concurrence déloyale aura fait beaucoup de tort à l'industrie locale. Bob Kirke, le directeur général de la Fédération canadienne du vêtement, a déclaré aux médias en juin 2007: «L'industrie du vêtement emploie 60 000 personnes au Canada, dont un peu plus de la moitié au Québec. Il y a cinq ans, cependant, l'industrie canadienne du vêtement dénombrait 100 000 employés.» Et il a ajouté: «En raison de la concurrence étrangère, la valeur des exportations canadiennes est passée de trois milliards à deux milliards en cinq ans.»

Malgré ces statistiques dramatiques, le gouvernement Charest a eu le courage d'épauler l'industrie de la mode et du vêtement en y injectant 82 millions de dollars, avec le dévoilement du programme Pro mode, en octobre de la même année. On ne peut non plus passer sous silence l'impact de la crise économique, qui est venue jouer les trouble-fêtes.

Parmi les organismes qui ont tenu haut et fort la fierté et la restructuration de la mode d'ici contre vents et marées, il faut souligner l'apport déterminant de l'équipe dirigeante derrière la Semaine de mode de Montréal, soit le Groupe sensation mode. Cet événement-phare nous revient, bon an, mal an, deux fois par année et fait défiler les collections de nos créateurs avec un professionnalisme exemplaire. Cette vitrine prestigieuse proposera d'ailleurs sa 21e édition l'automne prochain.

L'autre comité digne de mention est incontestablement La Fondation de la mode de Montréal qui, depuis 1990, s'est dotée d'une mission essentielle: aider la relève à prendre sa place. Entouré de plusieurs personnalités et acteurs du milieu, le président, Pierre Bovet, distribuera 100 000 $ en bourses d'études supérieures et de stages à 11 boursiers lors de la 22e soirée-bénéfice de la fondation, au Parc olympique, le lundi 9 mai prochain.

Cette fête rendra également un hommage particulier à son invité d'honneur, Louis Garneau, président fondateur de Louis Garneau Sports. Comme le veut la tradition, c'est le défilé des finissants de l'École internationale de mode du collège LaSalle qui viendra couronner ce soir de gala.

Un souffle de renouveau

Nous constatons depuis environ un an un vent d'optimisme, encore modeste certes, mais bien réel, avec spécifiquement un retour certain du balancier, la production en Chine n'étant pas pour tous l'eldorado tant célébré. Le manque de flexibilité des sous-traitants chinois pour de plus petites séries, les trop longs délais de fabrication et la hausse des coûts de la main-d'oeuvre font en sorte que plusieurs sociétés déchantent et récupèrent depuis peu une partie de leur production localement.

Dans un article paru le 28 février dernier dans The Globe and Mail et portant sur les dix secteurs de l'économie qui auront le taux de croissance le plus élevé au Canada en 2011, il est fort encourageant de constater que l'industrie du vêtement se situait en tête du peloton, devant les services de santé et les experts-comptables.

Le 31 mars, à Montréal, le Conseil des ressources humaines de l'industrie du vêtement a livré un rapport très optimiste faisant état d'une industrie qui est en pleine croissance et qui se réinvente brillamment, avec toutefois de sérieuses mises en garde concernant principalement le manque de relève dans l'industrie manufacturière. On prévoit qu'en 2013 il y aura quelque 7000 postes à combler, ce qui n'est pas rien.

Plusieurs nouveaux joueurs de l'industrie sont susceptibles de pouvoir contribuer à cette relance et d'agir comme catalyseur des projets; c'est le cas de Montréal Couture. Cet organisme à but non lucratif a été fondé en juin 2009 dans le but de poursuivre plusieurs missions, notamment le développement d'initiatives visant l'amélioration de la fonction de production des entreprises et la valorisation des métiers qui y sont reliés, tout en soutenant la structuration et le développement de l'industrie de la mode de milieu et de haut de gamme à Montréal, en plus d'encourager la mise en réseau des différents acteurs de l'industrie.

Un autre collaborateur majeur qui vient de s'inscrire dans le nouveau paysage de la mode québécoise est Vestechpro, le tout récent Centre de recherche et d'innovation en habillement, affilié au cégep Marie-Victorin. Il a le mandat d'être le partenaire de choix des entreprises et des organismes oeuvrant dans le secteur de l'industrie de l'habillement en leur proposant des services de soutien à l'innovation, à la recherche et au développement, en offrant des activités de formation et de perfectionnement et en diffusant de l'information stratégique leur permettant de se positionner avantageusement dans un contexte mondialisé.

Avec le dynamisme du Bureau de la mode de Montréal, devenu un carrefour rassembleur et mobilisateur indispensable, tous ces collaborateurs complémentaires et complices devraient nous permettre de penser autrement en osant se démarquer et en agissant de façon concertée pour redonner à la mode québécoise ses lettres de noblesse.

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