Médias - Sophocle, notre contemporain...

Parler, dialoguer, soupeser le pour et le contre, dire ses choix, défendre des principes (y compris moraux). Convaincre, peut-être. Les politiques, les artistes et les citoyens de la cité actuelle n'ont rien fait d'autre ces derniers jours à travers les médias.

Les débats des chefs et les explications de l'homme de théâtre Wajdi Mouawad autour de l'«affaire Cantat» ont cristallisé ces grands moments de la parole publique. De sorte que finalement, tout ce que nous avons reçu de bon des Grecs a encore bel et bien été donné.

La présence de l'animatrice chevronnée Anne-Marie Dussault au coeur des deux événements n'a fait qu'accentuer l'impression de voir se déployer médiatiquement les deux facettes d'un même rapport au monde organisé autour du «logos» des Anciens. Du discours, quoi, de la capacité à utiliser les mots pour examiner rationnellement l'éthique, l'esthétique comme la politique, en fait pour ouvrir la réflexion.

En même temps, ces deux moments forts de la démocratie actuelle, très lointaine héritière de l'ancienne, ont bien montré certaines misères et quelques grandeurs de la parole médiatisée ici, maintenant.

L'agora politique postmoderne ne peut plus se passer des réseaux, anciens et nouveaux. Les élus rendent et règlent leurs comptes sinon au studio, au moins devant la caméra et le micro, qui entretiennent un forum permanent.

Les médias semblent contrôler le jeu, par exemple en imposant des formats, ne serait-ce que l'obligation de livrer des petites phrases-chocs pour les reportages de quelques secondes. Le journaliste-essayiste Jean-Claude Guillebaud a déjà parlé d'un «avalement corrupteur» du dialogue politique dans cette médiation effrénée.

L'efficacité avant la vérité

Est-ce vraiment le cas? Pendant deux fois deux longues heures, les chefs en débat ont ressassé sans cesse les mêmes idées, les mêmes slogans, les mêmes sempiternelles formules. La capacité de certains à mentir à répétition devant des millions de citoyens, sans possibilité de correction de la part des animateurs-journalistes, montre la dérive de la parole démocratique en partenariat médiatique. C'est le triomphe du sophisme sur écran plat...

Évoquer la morale contemporaine en faillite tient aussi du lieu commun. On connaît la chanson: notre monde désenchanté ne sait plus où il va, manque de sens, souffre d'un dangereux déficit d'éthique. La pathétique saga de l'Hôtel de Ville de Montréal l'illustre tristement.

« Un terrain moral »

En même temps, le formidable et passionnant débat autour de «l'affaire Cantat» montre la capacité de la collectivité à reprendre les éternelles questions en rapport avec les convictions communes, les principes partagés, les reliquats spirituels sur lesquels reposent les sociétés humaines depuis Athènes et même avant. En voulant faire une place à son ami, assassin de sa compagne, dans le cycle des femmes de Sophocle, Wajdi Mouawad a déclenché un «tsunami d'opinions», selon son expression.

Les médias, tous les médias, ont aidé à organiser cet échange sur des questions fondamentales. Parfois maladroitement, en stimulant le sensationnalisme, à leur propre avantage. Parfois avec élégance et retenue, en relayant des jugements éclairés de nouveaux amis de la sagesse. L'affaire perdurait encore ce week-end. Les quatre articles les plus commentés du site du Devoir la concernaient.

«On est sur un terrain moral, a résumé M. Mouawad en dialoguant avec Mme Dussault, à RDI, vendredi. On n'est pas face à quelqu'un qui a raison ou quelqu'un qui a tort. La diversité des opinions est très importante.»

«Mais pourquoi, pour parler de nos valeurs morales, avons-nous tant besoin d'exagérer les faits? a-t-il finalement demandé. C'est formidable [d'avoir parlé], mais il y a quelque chose qui relève de l'échec. Sauf pour les médias...»

Là encore, on n'a pas à être d'accord. En tout cas, il faut nuancer. Échanger, soupeser le pour et le contre...

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.

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