De voiles et de beauté
On vit dans un monde d'images, nourris de cinéma, de pubs, d'Internet, gavés de belles icônes, qui font rêver. À l'opéra, d'où cette sensation de manque parfois, lorsque surgit sur scène un ténor bedonnant venu incarner les jeunes premiers ou une cantatrice à dégaine de Castafiore, boudinée dans une robe de jouvencelle, en timide ingénue.
Les interprètes sont choisis pour d'évidentes raisons de qualité vocale, bien entendu. Souvent, on ferme les yeux, afin d'y mieux croire, et la magie opère. Sinon, reste à faire abstraction de ceci et de cela. C'est l'opéra. On comprend, mais... Lorsque le physique des chanteurs coïncide avec leur personnage, nous voici soulagés et heureux.Ainsi l'autre soir, à la Place des Arts, ce miracle d'harmonie s'est produit lors du Salomé de Richard Strauss, au livret adapté de la pièce d'Oscar Wilde. Oeuvre sur le désir, la passion et la mort, elle causa scandale au début du XXe siècle en raison de son érotisme, jugé choquant. Dans cet opéra dirigé ces jours-ci par le chef d'orchestre Yannick Nézet-Séguin, ce même souffle brûle encore l'assistance, sans désormais scandaliser. Autre temps...
La jeune et belle soprano allemande Nicola Beller Carbone, féline, colle si parfaitement à son modèle de jeune fille ensorcelant le roi Hérode à travers sa danse des sept voiles pour obtenir la tête du prophète Jean-Baptiste, qu'on soupire à l'unisson.
Nicola Beller Carbone chante mieux qu'elle ne danse, remarquez, mais grâce à une chorégraphie habile, la soprano ne se dépouille pas des sept voiles superposés — ce qui exigerait une danse trop complexe —, mais entre ses ondoiements, se couche sur des voiles au sol en bougeant son corps ou ses jambes sous les tissus. Et ça fonctionne quand même, au long du strip tease, tant l'interprète séduit, par sa vérité, l'auditoire.
En 2008, devant l'opéra de Puccini Madame Butterfly, dans cette même salle Wilfrid-Pelletier, Montréal s'était ainsi enflammé pour la soprano Hiromi Omura. Non seulement à cause de sa voix d'or, mais aussi parce que jeune, belle et Japonaise, douée d'un vrai talent d'actrice, elle nous faisait croire à son rôle de geisha séduite, engrossée et abandonnée par un officier américain, attendant son retour avec une foi candide, qui nous valait l'aria sublime Un bel di, vedremo. Point de soprano occidentale maquillée à longues lignes pour brider ses yeux, mais cette Nippone gracieuse, qui ajoutait au ravissement du public.
Dieu sait à quel point les grands opéras du monde font désormais souvent appel à des metteurs en scène de pointe, Lepage et compagnie, pour moderniser leurs spectacles. On se réjouissait aussi l'autre soir, à l'Opéra de Montréal — qui n'a pas les moyens du Met de New York pour tout réinventer —, de voir les décors de Salomé comprendre un mécanisme de modernité, bouche de cachot d'où sortait Jean-Baptiste dans ses oripeaux de prophète. Songeant que le nouveau souffle de l'opéra passe beaucoup, au-delà des prestations musicales, non seulement par un renouveau de la mise en scène, mais aussi des interprètes au physique de l'emploi, qui nous font croire à la magie des corps et des voix, en des décors nouveaux qui les ancrent en notre aujourd'hui.
Le Théâtre Outremont d'hier à demain
Roland Smith avait régné sur le beau Théâtre Outremont, rue Bernard, en programmant dans ce lieu mythique, de 1971 à 1987, un cinéma de répertoire et de découvertes auquel se greffait aussi un volet spectacle. Tout le monde se ruait sur ce bijou architectural de 1929 aux célèbres fresques signées Briffa, pour faire le plein d'images. L'avènement de la vidéocassette, entre autres, avait abrégé les jours de l'immense salle art déco (1200 sièges à l'époque), difficile à chauffer, et le soir de la fermeture, l'assistance retenait mal ses larmes. Puis la municipalité sauva l'édifice, menacé de tous les outrages. Après coûteuse et interminable restauration, en 2001, on assista à sa renaissance, quand L'Équipe Spectra en prit les commandes.
Mais même si la municipalité avait son propre volet spectacles, même si certains gros shows levèrent haut, celui de Martha Wainwright entre autres, venue chanter Piaf en septembre dernier, le lieu demeurait trop confidentiel, un brin assoupi.
Le géant Spectra, concentré de plus en plus sur le Quartier des spectacles, n'a pas renouvelé le bail de l'Outremont, où il perdait d'ailleurs de l'argent, tant la dynamique des salles n'en finit plus de changer. Depuis lundi dernier, la Corporation du Théâtre Outremont a pris sa relève, ce qui assure à tout le moins un avenir à cette salle magnifique.
Philippe Sureau, cofondateur d'Air Transat depuis un an retraité, est président de cette corporation à but non lucratif, a confié sa direction artistique au dramaturge Dominic Champagne, au comédien Gilbert Sicotte et à Caroline Lussier, du Festival TransAmériques. Il affirme avoir voulu, en un premier temps, sauver le théâtre.
L'arrondissement d'Outremont, qui en fait aussi une sorte de maison de la culture, conserve ses 100 soirées d'activités culturelles par année. Pas de problème de ce côté-là.
Reste à louer également la salle. «On est en discussion avec la TOHU pour présenter des spectacles en juillet durant Montréal Cirque», affirme Philippe Sureau. Quant au reste, la Corporation aurait aussi ses propres productions. Le volet cinéma se développerait. Il est question de courtiser les nouvelles générations branchées du Mile End pour un show ou l'autre. Et pourquoi pas?
On pense au Théâtre Rialto, à quelques pas, sur l'avenue du Parc, qui s'est donné depuis un an à peu près la même vocation d'ouverture à l'avenir, tous arts confondus. Après tout, un bon bassin de salles peut offrir une pulsation à ce coin de ville. On souhaite à la nouvelle équipe de l'Outremont de vraiment s'éclater à travers l'expérimentation, la contre-culture, histoire de donner une couleur au coin, en s'arrimant au dynamisme du Rialto. Ces deux théâtres-là sont des joyaux patrimoniaux de Montréal, qui ont connu des jours bouillonnants. À eux deux, ils peuvent créer un pivot parallèle, plus trash que le Quartier des spectacles, en effervescence culturelle. Si l'Outremont demeure trop sage, il risque de manquer le bateau du renouveau, comme sous le règne de Spectra. Mais avec une vision, et du sel, tout est possible, et on se prend tout bêtement à rêver...
Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées. Il s’agit d’une chronique et, à ce titre, elle reflète les valeurs et la position de son auteur et pas nécessairement celles du Devoir.