Perspectives - La colère
La fin de l'année dernière a donné lieu à d'impressionnantes manifestations de colère populaire qui risquent de se répéter, et même de s'intensifier, à mesure que les gouvernements tenteront concrètement de rétablir l'équilibre des finances publiques. Espérons qu'ils sauront entendre les appels à une démarche équilibrée et rester sourds aux habituelles solutions simplistes.
Les rues de nombreux pays européens ont été le théâtre d'importantes manifestations et de grèves contre les plans d'austérité des gouvernements à la fin de l'année dernière. Les plus dures ont eu lieu en Grèce, au Royaume-Uni et en Irlande, mais on en a vu aussi en Espagne, au Portugal, en France, en République tchèque, au Danemark et ailleurs. «Ces plans d'austérité sont injustes, ils frappent les victimes de la crise et pas les responsables», disait, durant l'une d'elles, le dirigeant d'un important syndicat belge cité par Les Échos.Ces manifestations ne seront pas les dernières et risquent fort de s'étendre à d'autres pays, comme les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud et le Canada, à mesure que se préciseront les moyens devant être mis en place pour renverser la vapeur du train des déficits qui s'est emballé avec la crise financière et économique.
Les causes de cette brutale dégradation des finances publiques sont nombreuses. On pense évidemment aux coûts des plans de sauvetage des banques et des mesures de relance économique. Mais, dans la plupart des cas, les gouvernements ont surtout été victimes de l'impact désastreux de la récession sur leurs revenus et de l'explosion du nombre des personnes forcées de demander l'aide de l'État.
Ces causes liées à la conjoncture mondiale n'empêcheront pas le retour en force de vieilles explications toujours très populaires en pareilles circonstances. Une cible de prédilection sera les fonctionnaires et leurs syndicats, accusés de se la couler douce aux frais des contribuables même s'ils étaient là aussi quand les gouvernements ne faisaient pas de déficit et même si l'essentiel des dépenses publiques, dans la plupart des pays développés, passe en salaires de médecins, d'infirmières ou d'enseignants ainsi qu'en chèques d'assistance sociale.
Réapparaîtront aussi toutes ces histoires sur les chômeurs qui refusent les emplois affichés dans les vitrines des magasins, sur les «Bougon» qui abusent du filet social et sur tous ces gens qui n'ont rien de mieux à faire que d'encombrer les salles d'urgence des hôpitaux au moindre bobo. D'autres diront que le problème vient des riches qui ne payent pas assez d'impôt, même si, par exemple, seulement 3,2 % des contribuables gagnaient plus de 100 000 $ par année au Québec en 2006, selon le Cirano.
Les immigrants font aussi habituellement de bons boucs émissaires. Tout comme les agences de notation et les spéculateurs étrangers quand l'ampleur de la dette commence à peser sur les conditions de financement des pays. La Chine et les autres puissances commerciales en émergence seront aussi accusées plus que jamais de pratiques commerciales déloyales.
Simplisme et complexité
Sensibles à l'humeur de la population, les élus n'arrivent pas toujours à résister à la tentation de se servir de ces arguments simplistes. Le défi sera d'autant plus grand cette fois qu'un vent de populisme de droite souffle sur plusieurs démocraties occidentales et qu'ils penseront peut-être se mettre ainsi à l'abri des critiques dont ils font également l'objet.
Les exemples de tels dérapages au Congrès américain sont tellement nombreux ces jours-ci qu'on ne saurait pas par où commencer à en faire la liste. Le discours anti-immigrants se fait aussi de plus en plus entendre dans plusieurs parlements européens. Le nouveau gouvernement britannique a déjà annoncé, quant à lui, son intention de sabrer les effectifs de la fonction publique et de couper les vivres aux assistés sociaux qui ne feraient pas assez pour se trouver un nouvel emploi.
Selon l'OCDE, le retour à l'équilibre des finances publiques ne doit pas se faire en augmentant les impôts ni en compromettant les principaux services publics sur lesquels reposera la croissance économique future, comme la santé, l'éducation, le développement d'infrastructures et l'investissement en R&D. Pour accomplir cet exploit, disait récemment son économiste en chef, Pier Carlo Padouan, il suffit «d'améliorer l'efficience du secteur public et d'obtenir plus de résultats avec moins d'argent». Si une hausse des revenus est quand même nécessaire, mieux vaudra augmenter les taxes à la consommation ou créer des taxes suscitant un virage vers une économie verte, plutôt que de recourir à d'autres formes d'impôts réputées plus nuisibles pour la croissance.
Seulement la moitié des pays ont dévoilé à ce jour des détails sur leur plan de retour à l'équilibre budgétaire, observait en novembre le Fonds monétaire international (FMI). La quasi-totalité d'entre eux comptent concentrer leur effort sur la réduction des dépenses, notamment par le gel des salaires dans le secteur public, une réduction du nombre de fonctionnaires et une baisse des transferts sociaux. La plupart des pays disent vouloir protéger leurs populations les plus vulnérables, sans toutefois préciser comment.
Le temps dira comment on parviendra à se tirer de cette délicate situation dans laquelle la crise a plongé nos gouvernements. Espérons seulement qu'ils ne se laisseront pas guider par la colère ou le simplisme.