Du bon usage des tests

L'année 2010 s'est terminée sur une note positive pour les écoles québécoises. Comme tous les trois ans, le classement international PISA réalisé par l'OCDE a accordé une bonne note aux élèves québécois. Le Canada se classe en effet dans le peloton de tête, avec Taiwan, Singapour et la Finlande, parmi les 65 pays où les élèves ont été évalués. Par contre, la plupart des grands pays industrialisés, comme la France, les États-Unis, l'Allemagne et le Royaume-Uni, n'obtiennent qu'une note moyenne.

Au Québec, plusieurs ont évidemment crié victoire, voyant dans ces résultats un symbole de fierté. En France, au contraire, les critiques de l'élitisme de l'école française pavoisaient à la télévision en brandissant ces tests en guise d'acte d'accusation. Dans de nombreux pays, PISA semble devenu l'étalon de mesure du bon fonctionnement de l'école, comme s'il existait une telle chose qu'une norme mondiale unique permettant de classer toutes les écoles du monde.

Clarifions une chose: les tests PISA ne permettent pas d'évaluer la performance des systèmes scolaires dans leur ensemble et encore moins de les comparer. Même des défenseurs de ces évaluations, comme les sociologues français Christian Baudelot et Roger Establet, dénoncent les «apparences trompeuses d'un palmarès international». Ceux qui concluent de cette enquête que l'école québécoise est dans son ensemble meilleure que l'école allemande ou américaine ne démontrent ainsi que leur ignorance.

Les tests PISA ne mesurent que certaines habiletés élémentaires des élèves de 15 ans en lecture, en mathématiques et en sciences. Rien de plus. Notons au passage que l'OCDE, chaud partisan de la mondialisation libérale, ne s'intéresse ni aux connaissances acquises par les élèves ni à leur niveau culturel. La compétence est le maître mot de ces économistes pour qui on peut être «compétent» sans pour autant connaître le nom de la capitale de son pays.

Écrire que les élèves québécois sont «les champions de tout l'Occident en mathématiques», comme on a pu le lire, relève donc de la mystification. Ce serait comme accorder la médaille d'or à un coureur du marathon après les 100 premiers mètres. Selon le mathématicien français Antoine Bodin, qui a produit l'une des études les plus nuancées sur le sujet, PISA mesure de 15 à 20 % du programme de mathématiques que devrait normalement posséder un jeune Français de 15 ans. Si certains élèves réussissent bien aux PISA, rien n'indique qu'ils ne sont pas des cancres finis dans le reste du programme. Ainsi, les bons résultats des élèves finlandais aux PISA en mathématiques sont contredits par les professeurs de ce même pays, qui estiment que, depuis que l'enseignement est orienté vers les plus faibles, les élèves ne possèdent plus certains concepts mathématiques de base nécessaires en vue des études avancées.

Comme l'écrit la sociologue Nathalie Bulle, «la loupe de l'enquête [PISA] tend à être placée du côté des plus faibles». Il n'est donc pas surprenant que les pays occidentaux qui obtiennent les meilleurs résultats soient de petits pays à l'esprit très égalitaire comme la Finlande et le Québec. Des pays qui ont mis l'accent non pas sur le haut niveau culturel de leurs programmes, mais sur l'acquisition par tous de quelques compétences élémentaires. Un «kit de survie intellectuelle», écrit Nathalie Bulle.

Les PISA sont taillés sur mesure pour les programmes scolaires de ces pays. Ils récompensent les écoles maternantes où l'enseignement est principalement axé sur les élèves en difficulté, sans tenir compte des hauts niveaux d'excellence des meilleurs élèves. Peu importe que l'on sache lire Proust si la majorité est capable de lire une recette de gâteau au chocolat. Tel est l'esprit des tests PISA. De là à en déduire que les économistes néolibéraux de l'OCDE n'ont guère d'intérêt pour la culture, le pas est facile à franchir.

Une autre raison devrait nous empêcher de crier victoire trop vite. Dans le quotidien Le Monde, Marcel Thouin, de l'Université de Montréal, a reconnu que «les élèves canadiens ont de bons résultats en partie pour de mauvaises raisons». Comme les PISA n'évaluent que les jeunes de 15 ans qui fréquentent l'école, notre taux de décrochage record nous avantage par rapport aux pays européens. Il en va de même de l'immigration puisque, contrairement aux pays européens, nous n'accueillons que les immigrants les plus riches et les plus instruits.

Les tests PISA ne sont pas inutiles pour autant. Ils indiquent clairement que l'école québécoise réussit à aider les plus faibles, du moins ceux qui ne décrochent pas. Ce qui n'implique pas que nos programmes aient le niveau nécessaire pour le reste des élèves. Les tests montrent par ailleurs qu'un pays comme la France éprouve exactement la difficulté contraire. Malgré son niveau culturel élevé, l'école française parvient de moins en moins à aider les élèves en difficulté.

Quant à ces comparaisons fumistes entre les pays, elles relèvent le plus souvent d'une certaine orthodoxie mondialiste. Comme s'il était possible de faire abstraction des facteurs culturels et nationaux dans l'évaluation d'une chose aussi complexe que les résultats scolaires des élèves d'un pays.

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crioux@ledevoir.com

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