Perspectives - Le chanceux
Jim Flaherty, personnalité économique de La Presse canadienne en 2010. Vraiment? Si Ottawa a réagi comme tous les autres gouvernements devant une crise qu'il n'avait pas vu venir, le Canada a mieux fait face à cette récession couplée à une crise financière, grâce à une combinaison de bonnes politiques antérieures et à une certaine dose de chance.
Le gouverneur de la Banque du Canada avait déjà fait référence à la chance lors d'un discours prononcé en novembre. Mark Carney avait cependant ajouté, plus tard, que le Canada n'a tout de même pas été sans contribuer à sa propre chance. Car, face à la récession, le gouvernement fédéral n'a pas craint d'adopter un plan de relance parmi les plus «agressifs» sur une base relative. Et il n'est pas tombé dans le piège de l'austérité budgétaire, misant d'abord sur la reprise économique dans son budget de l'an 1 de l'après-crise, tout en laissant un espace libre aux provinces, plus mal en point. Voilà pour la bonne note. Cela dit, le Canada est entré en récession avec une pleine marge de manoeuvre, ce qui lui a permis d'en sortir avec un déséquilibre des finances publiques moins important sur une base relative.Au chapitre de la crise financière, les établissements financiers canadiens sont mieux capitalisés et plus conservateurs en matière de recours aux leviers financiers. Pour la plupart fiduciaires des dépôts ou de l'épargne des Canadiens — contrairement aux banques d'affaires ayant secoué Wall Street en 2008 — ils sont l'objet d'une surveillance plus ciblée des organismes publics. S'ajoute un marché hypothécaire canadien mieux réglementé.
Au chapitre de la récession, tant chez Statistique Canada qu'au Conference Board, on n'a pas été sans évoquer l'état de santé des finances publiques canadiennes lorsque le revers conjoncturel est venu. La récession canadienne a été moins profonde et plus courte que dans les autres pays du G7, notamment en raison d'une contraction du taux d'emploi moins prononcée. Au Canada comme en Europe, les ajustements concernant la main-d'oeuvre étaient liés à une réduction de la semaine de travail plutôt qu'à une diminution de l'emploi. Pour leur part, les États-Unis paient encore le prix de pertes sèches, liées essentiellement à l'effondrement du marché de la construction, dont les effets se sont conjugués aux importants gains de productivité, destructeurs d'emplois, cumulés préalablement par les entreprises américaines.
S'ajoutent la discipline budgétaire et le rééquilibrage des finances publiques lancé par le gouvernement précédent à la sortie de la récession de 1990-1992, qui a livré ses fruits. «Lorsque la crise financière et la récession ont commencé, le Canada était en meilleure posture fiscale que la plupart des autres pays industrialisés», ont souligné les analystes de Statistique Canada et du Conference Board. Ailleurs, en Europe, au Japon et aux États-Unis, la dette publique avait plutôt augmenté entre les deux récessions, une période pourtant faste dominée par l'une des plus longue phase de croissance économique ininterrompue de l'histoire. En clair, le Canada disposait d'une marge de manoeuvre que les autres n'avaient pas lorsque la récession a frappé.
Au bilan du ministre Flaherty, on peut, certes, ajouter les nouvelles mesures adoptées en février qui visaient un resserrement de l'accès à la propriété et une atténuation de la spéculation immobilière. Le ministre répondait alors aux nombreux appels répétés de la Banque du Canada dénonçant la hausse de l'endettement des ménages et craignant que nombre d'entre eux ne puissent faire face à une hausse, qui se voulait alors imminente, du loyer de l'argent. Mais, visiblement populaire auprès d'elles, il s'est toutefois soumis à l'argumentaire des banques craignant que des paramètres plus restrictifs ne soient dommageables à ce lucratif marché. Il écartait ainsi l'idée d'accroître la mise de fonds minimale, présentement à 5 %, ou de raccourcir la période d'amortissement maximale des hypothèques, présentement à 35 ans.
Et Jim Flaherty avait pourtant emprunté la voie inverse en 2008, avant que la crise ne secoue les établissements financiers américains, en se montrant favorable à l'achat sans mise de fonds et à l'hypothèque de 40 ans, des paramètres couramment utilisés aux États-Unis. Il avait reculé devant les craintes manifestées alors par la Banque du Canada. Un an plus tôt, il annonçait l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi sur les établissements financiers contenant l'abaissement, de 25 à 20 %, du seuil de la mise de fonds au-dessous duquel une assurance hypothèque devient obligatoire.
Peut-être pourrait-on mettre au bilan de la personnalité économique 2010 de La Presse canadienne un semblant de perte d'énergie dans la promotion d'une agence unique en valeurs mobilières au Canada? Désormais isolé, le gouvernement ontarien dénonce depuis peu un apparent désintérêt d'Ottawa à poursuivre la bataille dans ce dossier. Mais c'est un front que le ministre n'aurait jamais dû ouvrir.