Perspectives - Ho ! Ho ! Ho ! - Ouiiin iiin iiin !
Il n'y a pas que les gens qui s'inquiètent des dérapages de la tradition des cadeaux de Noël. Il y a aussi des économistes.
L'histoire du professeur Joel Waldfogel a commencé par une intuition qu'il a cherché à tester auprès de ses étudiants de sciences économiques et qui a mené en 1993 à la publication, dans une revue de sciences économiques, d'un petit article sur «La perte sèche de Noël». Comme on ne cessait de lui parler de cet article, le professeur de l'Université de Pennsylvanie a décidé, l'an dernier, de revenir plus en détail sur le sujet dans un petit livre intitulé Scroogenomics.Cherchant à évaluer le coût économique de tous les chandails trop laids, les produits de toilette qui sentent trop mauvais et les jeux de société trop nuls offerts à Noël chaque année, le professeur a conduit des sondages demandant aux gens d'évaluer la somme qu'ils auraient été prêts à débourser pour s'offrir à eux-mêmes les cadeaux qu'ils ont reçus dans le temps des Fêtes. Il a trouvé qu'on accordait en moyenne 18 % moins de valeur aux cadeaux reçus que ce qu'ils avaient réellement coûté en magasin, l'écart se rétrécissant parfois jusqu'à devenir pratiquement nul pour les présents offerts par un conjoint ou quelqu'un de très proche, mais pouvant aller jusqu'à 25 %, voire plus, dans le cas des oncles, des tantes et autres amis plus éloignés.
Ces cadeaux mal assortis seraient souvent de ceux qui sont assez chers pour faire passer le sentiment de culpabilité de les avoir choisis aussi vite, mais pas trop non plus sans quoi on se serait senti obligé de tester leur pertinence avant de les acheter. Reportés sur les 66 milliards dépensés en cadeaux de Noël aux États-Unis en 2007, ces résultats signifient que 12 milliards l'auraient été en pure perte, comme 25 des 140 milliards dépensés pour la même raison dans l'ensemble des pays de l'OCDE.
Bien qu'étourdissants, ces chiffres apparaîtront peut-être encore modérés à ceux qui pensent à tous ces cadeaux pour lesquels ils n'auraient pas versé un sou et qui leur imposent même une certaine forme de fardeau en les obligeant de faire semblant d'en être ravis au moment de les recevoir, et même de les ressortir du garage chaque fois que la tante Gertrude est en visite. Ils expliquent la popularité grandissante des sites Web où les gens se précipitent pour revendre leurs cadeaux de Noël dès le matin du 26 décembre.
La tante Gertrude et le beau-frère ne sont pas dupes des sourires forcés et des effusions excessives, notent les économistes. Les conventions sociales ne leur laissent toutefois pas le choix de faire des cadeaux à tout le monde, y compris à ceux dont ils ne connaissent ni les goûts ni les besoins. Une façon de les aider à améliorer leur moyenne est de leur dresser une liste de suggestions de cadeaux. Bien de leur temps, le tiers des Canadiens disent, par ailleurs, avoir déjà reçu un cadeau recyclé, c'est-à-dire que son auteur avait d'abord reçu de quelqu'un d'autre.
La solution la plus rationnelle du point de vue économique serait évidemment de donner de l'argent comptant afin que les gens puissent s'acheter eux-mêmes ce qu'ils désirent vraiment, dit Joel Waldfogel. Mais cela non plus n'est généralement pas acceptable aux yeux des conventions sociales.
Une solution qui s'en rapproche est le recours aux chèques-cadeaux. Ils compteraient aujourd'hui pour environ le tiers des cadeaux offerts à Noël. Le problème est qu'ils exercent, eux aussi, une certaine forme de contrainte quant à l'endroit où l'on peut aller se choisir un cadeau. De plus, un certain nombre sont jetés par erreur avec le papier d'emballage à la fin de la soirée, ou ne sont retrouvés au fond d'un tiroir qu'après leur date d'expiration. Au moins 10 % de leur valeur est ainsi perdue chaque année.
C'est l'intention qui compte
Toutes ces considérations ont le don de tomber souverainement sur les nerfs d'autres observateurs informés. Il arrive, disent-ils, que l'on soit le seul à pouvoir faire certains cadeaux, que ce soit à la suite d'un voyage à l'étranger ou parce que l'on a un accès privilégié à certains types de biens. Il y a aussi des cadeaux que l'on n'osera pas se faire, soit parce qu'ils nous semblent trop chers (le dernier gadget électronique), trop frivoles (un vêtement presque identique à sept autres que l'on a déjà) ou trop gênants (une grosse boîte de chocolats fins), mais que l'on est, tout de même, bien content de recevoir. On peut aussi ajouter à cette liste ce musicien, cet auteur ou ce réalisateur, que l'on ne connaissait pas, et qui nous marquera parce que quelqu'un aura pensé à nous le faire découvrir.
Il y a surtout, disent-ils, la valeur, non pas financière, mais sentimentale rattachée au fait de donner et de recevoir des cadeaux, plaidait déjà en 2001 la revue The Economist. Une bague de fiançailles vaudra infiniment plus aux yeux de sa nouvelle propriétaire qu'au bijoutier qui l'a vendu, y disait-on, tout comme de la vulgaire pâte à sel portant l'empreinte de la main d'une enfant aux yeux de ses grands-parents.
Toutes ces considérations ne sont pas nouvelles, note l'économiste. On se plaignait déjà, il y a plus de 150 ans, de tout cet argent gaspillé en cadeaux que l'on n'avait pas demandés au père Noël. La seule consolation est peut-être de savoir que, contrairement à ce qu'on pourrait croire, les gens dépenseraient proportionnellement moins aujourd'hui qu'ils ne le faisaient autrefois, la consommation étant trois fois plus importante qu'à la normale durant le temps des Fêtes aux États-Unis, alors qu'elle était multipliée par cinq dans les années 20.